Dans son deuxième numéro de l'année 2009, la revue française de gestion revient dans son éditorial sur la montée en puissance d'une volonté de limiter les hauts revenus patronaux.
Qu’est-ce qui fait courir les dirigeants d’entreprises ? La réponse à cette question ne devrait pas surprendre; la maximisation de leurs profits. En cela, ils seraient d’abord guidés par leurs intérêts, comme les autres acteurs du système économique actuel. Ils ne seraient pas différents des actionnaires qui cherchent à optimiser leurs investissements à court et à long terme et des salariés qui sont conscients qu’il faut se battre individuellement ou collectivement pour obtenir une amélioration de leur sort. Rien de surprenant dans une économie capitaliste du XXIe siècle, caractérisée par la globalisation et la rareté.
Cela n’effrayait réellement personne. Cela était accepté depuis au moins une vingtaine d’années. Or voilà que la crise aidant, patatras, tout est remis en cause. Les pouvoirs politiques, les médias et l’opinion publique en France, en Europe, comme aux États-Unis estiment unanimement que les revenus des dirigeants sont très souvent exorbitants. Ils doivent les limiter d’eux-mêmes ce qui est leur demander beaucoup d’abnégation, sinon, la loi, instrument de la volonté collective et de l’intérêt général, s’en chargera. Voilà un débat et une exposition qui ne sont pas faits pour leur plaire, habitués qu’ils sont à des arrangements confidentiels entre pairs pour la fixation de leurs émoluments.
À Londres comme à Wall Sreet on pousse des cris d’orfraies. Quand la Chambre des représentants décide que les primes des dirigeants d’entreprises aidées par l’administration seront taxées à 90 %, on évoque la chasse aux sorcières, le maccarthysme, voire le KGB [1]. En France, où l’on parle de taxes à 60 % on se fait plus discret. Les organisations patronales, dont le courage n’est pas une habitude, aiment avant tout le silence. Intéressées au premier chef, elles font le gros dos. Mais le gouvernement, et les partis politiques, estimant le thème populaire en cette période socialement agitée, remontent régulièrement au créneau demandant au Medef d’agir, alors que celui-ci craint discussions internes, rebellions et scissions.
On voit donc dans le patron un bouc émissaire de la crise. En fait ce qui est en cause aujourd’hui c’est sa fonction. Il y a deux rôles différents, qui ne peuvent pas être joués simultanément et qui sont tous deux recouverts par le mot de « patron »: l’entrepreneur et le gestionnaire anonyme. L’image de l’entrepreneur chère à Schumpeter et à The Economist [2] disparaît aujourd’hui derrière celle du bureaucrate qui fixe lui-même son salaire. La différence est considérable, elle concerne le risque. L’entrepreneur investit, s’endette souvent personnellement et prend un risque; le bureaucrate aidé par ses réseaux s’efforce quant à lui d’éliminer tous les risques financiers qui le concernent.
Dans un livre publié en 2004, intitulé Les mensonges de l’économie [3], J.K. Galbraith se livre à une charge contre les dirigeants et souligne que « la rémunération généreuse des directeurs existe dans tout l’univers de la société anonyme moderne. L’enrichissement légal compté en millions de dollars est maintenant un trait commun de la gestion d’entreprise. Ce n’est pas surprenant : les directeurs fixent bel et bien leur propre salaire ». Et Galbraith d’ajouter : « L’autorénumération des directeurs doit faire l’objet d’une vigilance générale. Tant dans l’intérêt du public que du monde des affaires lui-même. La liberté d’action pour réaliser des profits est normale. Elle ne doit pas servir de couverture à une appropriation indue – légale ou non – de revenus ou d’actifs ».
Va-t-on décider pour les patrons un salaire maximum, voire un revenu maximum comme on établit un SMIC ? Les arguments ne manquent pas. Il y a l’aspect moral que nous avons exposé basé sur la solidarité face aux intérêts particuliers. Il y a l’aspect économique, l’argent non distribué aux dirigeants pouvant être éventuellement investi. Il y a enfin un aspect managérial qui a fait l’objet de travaux à l’étranger, voire de décisions. Le président Obama souhaite un plafond de 500000 dollars pour les dirigeants de banques aidées par l’État. En Allemagne, il est question d’un salaire maximum de 1 million d’euros pour toutes les entreprises. Un des principaux mérites d’une telle mesure serait de permettre des choix de carrière beaucoup plus étendus pour les futurs dirigeants. Les petites entreprises dans tel ou tel domaine pourraient bénéficier d’un encadrement de haut niveau [4].
Ainsi que dans les affaires de délits d’initiés et de parachutes dorés, il apparaît qu’« il y a quelque chose de pourri » dans les hauts revenus distribués par les entreprises : absence de risque, inexistence d’un marché réel du travail pour certaines catégories de dirigeants, clientélisme, cooptation et autorénumération, tout cela s’apparente à des pratiques monopolistiques qui tombent sous le coup de la loi et du règlement.
NOTES
[1]Financial Times, 21, mars 2009.
[2]The Economist, 13 mars 2009.
[3]Les mensonges de l’économie, J.-F. Galbraith, Grasset, 2004.
[4]« Salaire maximum », Philippe Askenazy, Le Monde Économie, 17 mars 2009.
Source : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-2.htm
Cela n’effrayait réellement personne. Cela était accepté depuis au moins une vingtaine d’années. Or voilà que la crise aidant, patatras, tout est remis en cause. Les pouvoirs politiques, les médias et l’opinion publique en France, en Europe, comme aux États-Unis estiment unanimement que les revenus des dirigeants sont très souvent exorbitants. Ils doivent les limiter d’eux-mêmes ce qui est leur demander beaucoup d’abnégation, sinon, la loi, instrument de la volonté collective et de l’intérêt général, s’en chargera. Voilà un débat et une exposition qui ne sont pas faits pour leur plaire, habitués qu’ils sont à des arrangements confidentiels entre pairs pour la fixation de leurs émoluments.
À Londres comme à Wall Sreet on pousse des cris d’orfraies. Quand la Chambre des représentants décide que les primes des dirigeants d’entreprises aidées par l’administration seront taxées à 90 %, on évoque la chasse aux sorcières, le maccarthysme, voire le KGB [1]. En France, où l’on parle de taxes à 60 % on se fait plus discret. Les organisations patronales, dont le courage n’est pas une habitude, aiment avant tout le silence. Intéressées au premier chef, elles font le gros dos. Mais le gouvernement, et les partis politiques, estimant le thème populaire en cette période socialement agitée, remontent régulièrement au créneau demandant au Medef d’agir, alors que celui-ci craint discussions internes, rebellions et scissions.
On voit donc dans le patron un bouc émissaire de la crise. En fait ce qui est en cause aujourd’hui c’est sa fonction. Il y a deux rôles différents, qui ne peuvent pas être joués simultanément et qui sont tous deux recouverts par le mot de « patron »: l’entrepreneur et le gestionnaire anonyme. L’image de l’entrepreneur chère à Schumpeter et à The Economist [2] disparaît aujourd’hui derrière celle du bureaucrate qui fixe lui-même son salaire. La différence est considérable, elle concerne le risque. L’entrepreneur investit, s’endette souvent personnellement et prend un risque; le bureaucrate aidé par ses réseaux s’efforce quant à lui d’éliminer tous les risques financiers qui le concernent.
Dans un livre publié en 2004, intitulé Les mensonges de l’économie [3], J.K. Galbraith se livre à une charge contre les dirigeants et souligne que « la rémunération généreuse des directeurs existe dans tout l’univers de la société anonyme moderne. L’enrichissement légal compté en millions de dollars est maintenant un trait commun de la gestion d’entreprise. Ce n’est pas surprenant : les directeurs fixent bel et bien leur propre salaire ». Et Galbraith d’ajouter : « L’autorénumération des directeurs doit faire l’objet d’une vigilance générale. Tant dans l’intérêt du public que du monde des affaires lui-même. La liberté d’action pour réaliser des profits est normale. Elle ne doit pas servir de couverture à une appropriation indue – légale ou non – de revenus ou d’actifs ».
Va-t-on décider pour les patrons un salaire maximum, voire un revenu maximum comme on établit un SMIC ? Les arguments ne manquent pas. Il y a l’aspect moral que nous avons exposé basé sur la solidarité face aux intérêts particuliers. Il y a l’aspect économique, l’argent non distribué aux dirigeants pouvant être éventuellement investi. Il y a enfin un aspect managérial qui a fait l’objet de travaux à l’étranger, voire de décisions. Le président Obama souhaite un plafond de 500000 dollars pour les dirigeants de banques aidées par l’État. En Allemagne, il est question d’un salaire maximum de 1 million d’euros pour toutes les entreprises. Un des principaux mérites d’une telle mesure serait de permettre des choix de carrière beaucoup plus étendus pour les futurs dirigeants. Les petites entreprises dans tel ou tel domaine pourraient bénéficier d’un encadrement de haut niveau [4].
Ainsi que dans les affaires de délits d’initiés et de parachutes dorés, il apparaît qu’« il y a quelque chose de pourri » dans les hauts revenus distribués par les entreprises : absence de risque, inexistence d’un marché réel du travail pour certaines catégories de dirigeants, clientélisme, cooptation et autorénumération, tout cela s’apparente à des pratiques monopolistiques qui tombent sous le coup de la loi et du règlement.
NOTES
[1]Financial Times, 21, mars 2009.
[2]The Economist, 13 mars 2009.
[3]Les mensonges de l’économie, J.-F. Galbraith, Grasset, 2004.
[4]« Salaire maximum », Philippe Askenazy, Le Monde Économie, 17 mars 2009.
Source : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-2.htm
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