Partageons déjà un constat : dans notre société riche jusqu’à l’obésité, l’existence d’îlots de pauvreté n’est pas seulement inacceptable - aucune pauvreté n’est acceptable - elle est surtout aberrante. Lorsque les « grands » patrons français gagnent l’équivalent de 300 SMIC par mois et côtoient les 4 millions de français (sur)vivant aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, la nécessité d’un rééquilibrage est-elle encore à démontrer ? C’est pourquoi on adhèrera sans peine à cette affirmation avancée par les signataires de la motion du PPLD « en avant la décroissance ! » [1] : « la première décroissance que nous voulons, c’est celle des inégalités ».


Revenu maximum autorisé ou revenu inconditionnel de citoyenneté ? par Baptiste Mylonda
Cette position de principe étant revendiquée, reste à la mettre en pratique et à trouver sa traduction politique. Le problème est loin d’être insoluble. Les richesses sont là, il ne nous reste qu’à les répartir équitablement... Dans l’optique de décroissance qui est la nôtre, deux options semblent envisageables pour amorcer cette juste répartition : un « revenu maximum autorisé », ou un « revenu inconditionnel de citoyenneté ».

La proposition de « revenu maximum autorisé » consiste à plafonner progressivement les revenus à hauteur de trois SMIC. Une révolution en somme, aisément réalisable sur le plan fiscal, et qui entraînerait sans doute une redistribution des revenus en direction des bas salaires. L’idée de « revenu de citoyenneté » consiste quant à elle à verser sans condition ni contrepartie, un revenu très modeste mais suffisant - c’est-à-dire permettant de se passer de tout revenu d’activité - à chaque citoyen.

Les deux mesures s’appuient donc sur une redistribution verticale des richesses - des riches vers les pauvres - mais se distinguent notamment par le mode de répartition choisi. Répartition par les salaires d’activité pour l’une, répartition par un salaire social pour l’autre. Le choix du mode de répartition est en fait lourd de sens. Ainsi, en confirmant le rôle du travail comme principal vecteur de la répartition des richesses - le travail demeure la source quasi-exclusive de revenu - le « revenu maximum autorisé » confirme la place exubérante et la valeur absurde accordée aujourd’hui au travail alors même que la décroissance implique une critique globale de la « spirale consommation - croissance - travail ». A l’inverse, en s’appuyant sur une déconnection entre revenu et travail, le « revenu de citoyenneté » appelle une remise en cause de la place du travail dans la société et une critique concomitante de celle de la consommation [2]. Sur ce point, le revenu de citoyenneté semble donc davantage en adéquation avec une logique de décroissance.

Mais revenons à la question de l’inégalité à laquelle « revenu maximum autorisé » et « revenu inconditionnel de citoyenneté » entendent apporter une réponse. Après tout, l’inégalité des revenus est-elle choquante en soi ? Non. Bien sûr, elle est scandaleuse dès que certains vivent dans le besoin, mais l’est-elle encore si chacun dispose d’un revenu suffisant ? D’ailleurs, peut-on raisonnablement envisager un idéal égalitaire où chacun disposerait d’un revenu identique à celui des autres ? Ce serait sans doute oublier que la justice n’est pas dans l’égalité mais bien dans l’équité. « Chacun selon ses besoins », voilà un objectif répondant à l’impératif de justice sociale.

Dès lors, peu importe que certains gagnent des millions pour se prélasser sur leur yacht si ceux - dont je suis - qui pour se divertir préfèrent la belote, disposent des ressources suffisantes pour se livrer à leur activité préférée. On voit bien, à travers cet exemple trivial, que les réponses apportées par chacun à ses propres besoins peuvent impliquer des dépenses et donc des niveaux de revenu variables... Les inégalités de revenu trouvent ici une justification voire une certaine légitimité. Ces inégalités sont-elles injustes pour autant ? Sans doute pas, du moins ne semblent-elles pas iniques dès lors, insistons sur ce point, que l’accès de tous aux biens et services essentiels est garanti.

Finalement, revenu maximum autorisé ou revenu inconditionnel de citoyenneté ? Posons autrement la question : faut-il imposer aux plus riches un niveau de vie maximum ou garantir à tous un niveau de vie minimum ? La réponse est évidente et plaide sans conteste en faveur du revenu de citoyenneté même si, au final, les deux mesures auraient vraisemblablement un impact comparable en terme de répartition des revenus. Mais là n’est pas l’essentiel car, au-delà de cet arbitrage, le choix entre « revenu maximum autorisé » et « revenu inconditionnel de citoyenneté » appelle deux questionnements de fond sur le discours et la démarche politique des objecteurs de croissance.

Sur le discours d’abord. Le « revenu maximum autorisé » s’inscrit dans un ensemble de propositions détaillées dans la motion « en avant la décroissance ! ». Parmi les dix idées-forces avancées, notons ici, outre le RMA, l’interdiction des sports et loisirs motorisés ainsi que l’interdiction de posséder plus de deux logements. Joli programme ! Là où le Petit Nicolas transpose le rêve américain en nous promettant de faire de la France le pays où tout est possible, les objecteurs de croissance ne semblent promettre qu’interdiction, restriction et prohibition. Nos détracteurs n’en demandent pas tant !

Entendons-nous bien, il n’est pas interdit d’interdire. On aurait même tort de s’en priver concernant toutes les activités et pratiques entraînant des dommages irréversibles pour la société ou l’environnement. Il n’est pas interdit d’interdire donc, mais en l’occurrence est-ce bien pertinent ? De telles mesures sont-elles vraiment opportunes dans le cadre d’une politique des loisirs ou du logement ? Pire, sont-elles seulement lisibles et recevable par l’opinion publique ?

Pour ce qui est de leur lisibilité, on peut sérieusement en douter. Non, limiter le nombre de logements par ménages ne constitue pas une politique du logement digne de ce nom. De fait, comme il est préférable de garantir à tous un niveau de vie minimum plutôt que de plafonner les revenus, il serait plus cohérent, plutôt que d’interdire la possession de plus de deux logements par ménages, de s’assurer que chaque ménage dispose d’au moins un logement décent ! Dans cette optique, le plafonnement des loyers, la réquisition des logements inoccupés et le renforcement des mesures fiscales taxant davantage les résidences secondaires afin de financer le développement d’un réel service public du logement, semblent bien plus lisibles et pertinents qu’une simple interdiction.

Pour ce qui est de la recevabilité par l’opinion publique, le cœur du problème réside dans les tensions qui opposent l’interdiction ou la réglementation au nom de l’intérêt général, et le choix d’une liberté sans bornes au péril de la société. Des tensions au cœur de tout projet politique mais qu’il faut dépasser si l’on souhaite atteindre un consensus démocratique. Par la radicalité qu’elle suppose, la critique de la croissance se heurte inévitablement à cette exigence démocratique. Les objecteurs de croissance doivent donc trouver une voie médiane.

Au nom de la préservation de l’environnement, faudrait-il par exemple interdire la consommation de bananes en France métropolitaine ? Certainement pas ! Il est urgent en revanche de répercuter les coûts cachés de nos modes de vie par le biais d’une taxe écologique pouvant financer la recherche de sources d’énergie de substitution. Voilà la voie médiane. A l’interdiction, préférons la répercussion systématique du coût des réparations que le caractère parfois nocif de nos modes de vie et de consommation nécessite. A ce titre, le principe de gratuité de l’usage et de cherté du mésusage, suggéré par Paul Ariès [3], répond bien à cet objectif. Outre l’impact désincitatif à l’égard du mésusage, cette logique présente l’avantage de préserver la liberté de chacun et l’intérêt de tous.

La question du partage du travail nous offre un parallèle instructif. Toujours dans notre optique de décroissance, faut-il opter pour une réduction drastique du temps de travail légal ou favoriser l’entrée dans une société du temps de travail choisi ? On voit aujourd’hui que l’accueil mitigé des 35h par les patrons comme les salariés soulève cette question avec d’autant plus d’acuité. Après tout, si certains préfèrent travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher dès lors qu’ils acceptent, au nom du « vivre ensemble », de partager avec l’ensemble des citoyens une part des revenus tirés du travail qu’ils monopolisent dans un contexte de rareté de l’emploi ?

On en arrive finalement à cette question de fond : quel doit être l’objectif d’une politique ? S’agit-il de conformer le mode de vie de la société aux souhaits, si légitimes soient-ils, de la majorité, ou de donner à chacun la possibilité de dessiner la société dans laquelle il souhaite vivre en tenant compte, bon gré mal gré, de l’intérêt général ? Plus que tout autre courant de pensée, la décroissance doit questionner sa démarche politique. Car la décroissance ne se décrète pas. Elle peut être encouragée, soutenue politiquement, mais, au nom de notre attachement à la liberté et à la démocratie, elle ne peut être imposée, pas même par la majorité. Finalement, la critique radicale de la croissance doit être porteuse, non pas d’une politique de transformation sociale, mais plutôt d’une politique de transformation par la société.

[1] Voir le site Internet du PPLD : http://www.partipourladecroissance.net
[2] Pour une argumentation détaillée, voir Baptiste MYLONDO, « Travailler moins, trois fois moins », dans Jean-Pierre GELARD (dir.), Travailler plus, travailler moins, travailler autrement, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007.
[3] Paul ARIES, Le mésusage. Essai sur l’hypercapitalisme, Lyon, Parangon, 2007.

lundi 15 janvier 2007
http://www.decroissance.info/Revenu-maximum-autorise-ou-revenu

le Mercredi 1 Avril 2009 à 02:47 | Commentaires (0)

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