II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus

LIVRES PHILous

Mercredi 5 Août 2015

Le snobisme d'Adèle Van Reeth et Raphaël Enthoven, ce petit livre subtil et ironique ne laisse pas indifférent et modifie instantanément le regard que l’on peut avoir sur le snobisme. Car même si on fuit le snobisme, il y a des grandes chances d’en être sévèrement atteint !


Le snobisme, une maladie incurable ?
Dans une dialectique captivante et limite tournoyante, Adèle Van Reeth par ses questions qui piquent là où il fait bon d’appuyer et les éclairages sans tabou de Raphaël Enthoven, les différents visages du snobisme se dévoilent au fur et à mesure dans tout leur paradoxe. Le snobisme ne désigne pas un individu type, mais un comportement qui peut frapper n’importe quel commun des mortels, celui de croire que nos goûts (ou nos pensées) sont supérieurs aux autres. C’est ce qu’appelle R. Enthoven : l’anticartésianisme, soit l’absence de doute.

Mais n’est-il pas surprenant que ce soit un philosophe qui nous explique les rouages du snobisme, alors que cette discipline dégouline à foison de cette image de snobe bien trop intellectuelle ? Contrairement aux apparences, « la philosophie donne les moyens de penser le snobisme ». Alors que l’histoire présente le snobisme comme un phénomène ponctuel et que la sociologie le situe au niveau de la lutte des classes. La philosophie permet en effet d’aller plus loin dans le décorticage de ce type de comportement, qui consiste à vivre comme « indubitables des vérités qui n’en sont pas ».

De la masse comme de l’élite, le snobisme est partout, et surtout là où on ne l’attend pas. C’est dans cette description peu courante du snobisme que réside l’originalité de cet essai. Il nous sort de sentiers battus. « Pour parodier Schopenhauer, on pourrait dire que la vie est une oscillation perpétuelle entre le snobisme du snob (snobisme de classe, snobisme clanique, snobisme de l’intelligence, de la culture…) et le snobisme de l’antisnob (snobisme de la marquise de gauche, snobisme du libertaire qui fait fortune en dénonçant l’économie de marché, etc.) ».

Le livre commence par une entrée en matière assez classique du snobisme, à travers les univers de Proust, d’Oscar Wilde et de certaines scènes de théâtre de Marivaux, puis élève le débat avec les voix de Pascal, de Tocqueville à propos du snobisme du « peuple », de Kant, de Hume et de Nietzsche. Puis vers la fin, Raphaël Enthoven change de rythme en adoptant un ton plus caustique envers certains snobismes comme l’art contemporain ou des snobs célèbres « obséquieux » comme Sartre ou Bourdieu. Le snobisme serait un « rêve d’immuable ». Nous retiendrons la formule fort subtile : « le snobisme est un conservatoire, plus qu’un conservatisme », « un conservatoire de certitudes ponctuelles, d’évidences fragmentaires, de private jokes, de gestes, d’usages et d’attitudes ». Même la démocratie peut être tyrannique par le biais de sa majorité. C’est la théorie de Tocqueville. Le snobisme collectif est d’ailleurs très redoutable.

Prendre son goût pour le bon goût, voilà l’un des travers les plus irritants du snobisme. « Le snob cherche à brandir une étiquette comme révélatrice de son identité, aux dépens de ce qu’il pense vraiment ». Mais le snob n’est pas que celui qui écoute du slam ou de l’opéra, c’est aussi celui « qui déclare, haut et fort, qu’il ne va au cinéma que pour manger du blockbuster, admirer les biceps de Van Damne et revoir Matrix pour la vingtième fois ». Difficile par conséquent de s’extirper des rouages du snobisme…

Raphaël Enthoven n’épargne personne, même pas lui-même. Car qui mieux qu’un snob pour décrire le snobisme ? Il s’en prend aux dérives du goût démocratique pour l’égofiction : « la littérature est de partir de soi non de parler de soi ». Sinon, « il suffirait de vomir ou de chier pour produire quelque chose ». Mais le point culminant de la critique arrive quand le philosophe évoque l’art contemporain, cette pépite du snobisme qui avait déjà été quelque peu égratignée par Luc Ferry en 2014. « S’il suffisait de mettre tout objet en cage, pour qu’il éveille librement le sentiment du beau » ou « traiter le banal comme s’il était unique »… Tout le monde serait artiste ! « Le retour à l’inutile est une condition nécessaire mais non suffisante à la création que l’art contemporain réduit à la créativité et la promotion du n’importe quoi ». « L’extase qu’éveille un monochrome est à la mesure du néant qu’il représente ». Pour R. Enthoven, l’art contemporain est victime d’une spéculation financière qui masque sa nudité et qui s’appuie sur une « conception régalienne de l’individu ». Bref, c’est « du niveau d’un micro-trottoir ».

Le procès ne s’arrête pas là, il s’en prend également (ce qui est moins courant dans le petit monde de la philosophie) aux snobs « du ressentiment » : Bourdieu et Sartre. « Bourdieu croit dire vrai mais il mathématise le ressentiment ». Tout comme Michel Onfray qui s’en est pris violemment au snobisme de Sartre le bourgeois envers le modeste Camus, R. Enthoven donne également un dernier petit coup de marteau à la réputation du père de l’existentialisme. Il rappelle cette phrase d’une présomption écœurante écrite par Sartre à Camus : « Je n’ose vous conseiller de vous reporter à la lecture de l’Etre et le Néant, la lecture vous en paraîtrait inutilement ardue : vous détestez les difficultés de penser ».

Bref, un livre qui ne manque pas de panache pour nous aider à sortir de l’engrenage du snobisme et d’en rire ! Mais, vouloir tuer le snob qui est en nous, « c’est comme l’athéisme militant qui est encore une religion ». Adèle Van Reeth et Raphaël Enthoven nous auront avertis…


Le snobisme, mars 2015, 157 pages, 12,50 €
Ecrivain(s): Adèle Van Reeth et Raphaël Enthoven Edition: Plon
Le snobisme, Adèle Van Reeth et Raphaël Enthoven

(Article rédigé pour la Cause littéraire)

Rédigé par Marjorie Rafécas le Mercredi 5 Août 2015 à 07:28 | Commentaires (2)

Dans la lignée de Rock'n Philo de Francis Métivier, l'esprit Pop philo continue à frapper fort avec un nouveau titre "La playlist des philosophes", qui fait le pari audacieux d'expliquer les grands concepts philosophiques à partir de chansons de variétés. Plus besoin désormais pour les futurs bacheliers de lâcher leurs écouteurs pour réfléchir et réviser leurs cours de philosophie. Leurs MP3 vont les aider à sortir de leur caverne et à "kiffer" la philosophie platonicienne avec Starmania, voire même comprendre la philosophie ardue de Heidegger avec Alain Souchon !


La playlist des philosophes, une autre façon d'écouter la musique
Philosopher grâce à Céline Dion et à Stevie Wonder ? Certains vont en tomber de leur chaise pour s'écraser dans la théorie de la gravité (sous le poids de la lourdeur de leur sérieux). Comme le dénonce ironiquement Marianne Chaillan "Aimer la chanson de variétés semble bel et bien constituer un signe extérieur d'affliction culturelle". Pourtant, cette "affliction culturelle" invite aussi bien les connaisseurs de la philosophie que les néophytes, à ré-interpréter en musique leurs idoles de la pensée ou à faire "raisonner" autrement les tubes que l'on fredonne à tue-tête sous sa douche. En somme, faire "varier" son approche grâce aux vibrations de la variété. N'est-ce pas en effet surprenant de discerner dans "Elle me dit" de Mika l'ombre de la philosophie Nietzschéenne, celle de l'homme fort attaqué par les faibles ? Ou encore dans la chanson "Carmen" de Stromae la dénonciation de "l'amour zéro risque" d'Alain Badiou : "L'amour est comme l'oiseau de Twitter, On est bleu de lui seulement pour 48 heures, D'abord on s'affilie, ensuite on se follow, On en devient fêlé et on finit solo".
N'y a-t-il pas aussi plus belle illustration que la phrase "Y a que les routes qui sont belles et peu importe où elles mènent" de Jean-Jacques Goldman pour évoquer la théorie de Montaigne selon laquelle seule la route compte et non la destination ? Enfin, qui aurait cru que dans le "Résiste" de France Gall qui vient d'être adapté en comédie musicale, s'y cache une théorie de Heidegger ? "Ca appelle" ("Es ruft"), comme dirait Heidegger ! "Résiste" nous exhorte à sortir en effet de notre existence inauthentique, du Dasein déchu. Enfin, ce livre nous permet de décoder des chansons en anglais que nous n'avons jamais cherché à comprendre... Tellement nous avons l'habitude de les entendre mécaniquement, nous laissant guider aveuglément par la mélodie. C'est le cas de "Let it be" des Beatles qui est bien plus profonde qu'elle en a l'air. L'auteur nous le prouve.

L'ouvrage est organisé comme un Ipod en différentes playlist. On peut sauter de playlist en playlist pour changer d'ambiance sonore ou philosophique : de la playlist de Nietzsche à celle de Sartre ou des Stoïciens, de celle du bonheur à celle de la foi. Le lecteur pourra y trouver également les bibliothèques de Stromae et de Jean-Jacques Goldman.

Au final, quelle playlist garder dans le hit-parade ? Celle de la morale est particulièrement intéressante car elle met en exergue le rôle moralisateur que joue en toute discrétion la musique de variétés. Sous son apparente légèreté, la variété vaporise de nombreuses injonctions moralisatrices et philosophiques. Grâce à Eminem, M. Chaillan nous explique efficacement la différence entre morale déontologique et celle conséquentialiste. Alors, la variété, moralisatrice ? En témoigne en tout cas le rejet intergénérationnel que vient de provoquer la dernière chanson des Enfoirés "Toute la vie", jugée trop donneuse de leçons.

Morale de l'histoire, la variété peut déranger, comme la philosophie !

Un livre à conseiller à tous les futurs bacheliers et aux professeurs de philosophie souhaitant surprendre leurs élèves

La playlist des philosophes, Marianne Chaillan, Le Passeur Editeur, 2015.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 22 Mars 2015 à 23:21 | Commentaires (0)

Grande amatrice des couleurs (disons que je n'hésite pas à les utiliser aussi bien dans ma garde robe que dans ma décoration d'intérieur, en total contre-pied de la tendance bobo très épurée et inodore), je ne pouvais qu'acquérir cet ouvrage si flatteur aux yeux, l'étonnant pouvoir des couleurs de Jean-Gabriel Causse sorti en 2014. Juste avant, j'ai également pris le temps de savourer le "petit livre des couleurs" de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, un petit bijou historique très coloré qui ouvre l'esprit.


L'étonnant pouvoir des Couleurs, dommage que le rose soit réservé aux filles !
Ce qui paraît évident après la lecture du livre L'étonnant pouvoir des couleurs est que la couleur n'est pas qu'une question de coquetterie. Mais cela, vous vous en doutiez... C'est au contraire très scientifique à la base : les couleurs sont des faisceaux de photons, des longueurs d'ondes électromagnétiques, décodés par notre rétine et ses petits bâtonnets. Certains médecins n'hésitent pas à y recourir pour soigner certaines maladies, notamment la dépression. Elles influent également sur notre comportement, le bleu favorise la créativité alors que le rouge stimule le désir. Le violet renvoie vers le mysticisme et la méditation, alors que le vert est la couleur de l'équilibre, celle qui baisse la tension artérielle. On peut également associer la couleur à un son, car la musique est aussi une histoire de longueur d'onde. Il faut savoir que Wagner composait sa musique dans des pièces rouges (ce qui ne surprend pas quand on écoute sa musique) et si l'on associe plus spontanément le jazz au bleu, ce n'est pas un hasard !


Elle Décoration sept 2014
Elle Décoration sept 2014
Le rose n'est pas que la couleur des princesses, c'est surtout une couleur relaxante. Elle est parfois utilisée dans les écoles pour apaiser les enfants hyperactifs, dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques. "Le rose réduit le rythme cardiaque, la pression sanguine et les pulsations. C'est une couleur tranquillisante qui sape votre énergie et réduit votre agressivité", d'après Alexander Schauss. Les enfants font des dessins plus positifs quand ils sont dans un univers rose. Alors pourquoi dans l'histoire des genres, le bleu est associé aux garçons et le rose aux filles ? L'auteur ne l'explique pas dans l'ouvrage. Dommage ! D'ailleurs, à quelle époque, le rose est-il devenu féminin ? Car si le bleu est aujourd'hui très consensuel, Michel Pastoureau nous explique dans Le petit livre des couleurs qu'il ne l'a pas toujours été. C'est seulement au XVIIIème siècle que le bleu est devenu la couleur préférée en Europe. Dans la Rome antique, le bleu était le symbole des barbares et les yeux bleus, signe de mauvaise vertu pour les femmes... Quel revirement ! Le bleu est un petit malin ! Ce qui est en tout cas prouvé scientifiquement est que le bleu favorise l'intuition. Méfiez-vous aussi des restaurants qui décorent leurs tables de nappes à carreaux rouges, c'est pour ouvrir votre appétit et vous tenter de prendre un dessert !




Tous les animaux n'ont pas la même perception des couleurs, celle de l'Homme se rapprocherait de celle de la musaraigne et de l'écureuil. Les nouveaux nés n'ont d'ailleurs pas non plus la même perception des couleurs, avant 6 mois, leur champ visuel est très limité. Ainsi, même si la science arrive à mettre en évidence certaines généralités, il n'en reste pas moins que les couleurs restent avant tout une expérience personnelle et qu'il faut suivre son instinct.


Ce que l'on retient au final de l'étonnant pouvoir des couleurs est que l'influence des couleurs, bien que scientifiquement prouvée, est aujourd'hui encore largement sous-estimée. L'auteur s'appuie sur de nombreuses études scientifiques pour prouver l'influence des couleurs sur le comportement, notre odorat, nos papilles gustatives, nos actes d'achat etc. Mais, on n'arrive pas à savoir si c'est instinctif ou culturel. Si vous voulez en savoir plus sur la symbolique ou l'histoire des couleurs, je vous recommande aussi le petit livre des couleurs de Michel Pastoureau.

En attendant, broyez du rose, pensez bleu et prenez un petit shot de rouge !

L'étonnant pouvoir des Couleurs, dommage que le rose soit réservé aux filles !
L'étonnant pouvoir des couleurs, Jean-Gabriel Causse, Editions du Palio, 2014.
Le petit livre des couleurs, Michel Pastoureau et Dominique Simonet, Editions Points, 2014 (réédition des Editions du Panama de 2005).

Pour aller plus loin :
- www.pourpre.com pour les appellations de couleurs
- Se soigner par les couleurs, J-M Weis (Editions du Rocher)
- Le langage secret des couleurs, C. Agrapat (éditions Granger)

Pour le plaisir des yeux :
- Les Couleurs, vues par Philippe Model (éditions Chêne).

Pour les amateurs d'astrologie :
- Home astrology, Paul Wade (Editions Hamly), pour associer les couleurs à son signe astrologique.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 1 Février 2015 à 16:10 | Commentaires (0)

En ces temps d'intense néant d'élan, j'ai été immédiatement attirée par le livre de Vincent Cespedes "L'ambition ou l'épopée de soi". Une sorte d'invitation à sortir de soi. S'abreuver d'ambition, de cette "joie de vivre qui dérange", m'est apparu comme une bonne thérapie pour ne pas sombrer dans le confort de l'ectoplasme.
Avouons qu'en France, l'ambition est un mot tabou avec une connotation très paradoxale. "Qualifier un individu d'ambitieux est une attaque sournoise mais le sans ambition est une insulte". Nous nous laissons bien trop souvent influencer par ceux qui voient "l'ambition comme une forme de névrose. Une infirmité qui consisterait à ne pas se satisfaire de celui que l'on est". Le monde a pourtant besoin d'ambitieux pour avancer et se remettre en question. D'ailleurs, la philosophie par ses questions dérangeantes n'est-elle pas une forme d'ambition ? "L'ambitieux nous désécurise sans le vouloir, nous fait ouvrir les yeux. Il déconfortabilise, relance le questionnement que trop de satiété tarit". Alors pourquoi se priver de cette énergie grisante ?


"L'ambition ou l'épopée de soi" ou comment sortir de l'empire du fade ?
Fourier écrivait que pour avoir une vraie démocratie il faut une libération de l'ambition. "En détruisant les gradations prévient-il on mécontente la classe intermédiaire, on prive d'aliment une passion très incompressible, qui est l'ambition". Il vaut mieux se méfier de la tentation d'un excès d'égalitarisme... Mais comment devient-on ambitieux ?
Le célèbre tube des Rolling Stones "I can't get no satisfation" peut nous mettre sur la piste. En effet, comme le rappelle V. Cespedes, les parents satisfaits de leur vie ne font guère d'ambitieux, "car l'ambition marche à l'insatisfaction tutorale". "Dans un pays médiaticomonarchique comme la France, on pense au système des fils et des filles de", ces progénitures clonées." Vincent Cespedes les appelle ironiquement les "ectoplasmes". "L'ectoplasmie de la bourgeoisie mériterait une vaste étude à elle (...). Car c'est elle qui est la principale responsable de la montée des incompétences aux postes de décision". "Ainsi s'édifie l'empire des fades : un millefeuille bureaucratique d'ectoplasmes se flairant et se cooptant, avec quelques véritables ambitieux perdus dans les strates pour boulonner ensemble". Les expressions "empire des fades" et "millefeuille bureaucratique d'ectoplasmes" m'ont bien fait rire...

Mais attention toutes les ambitions ne se ressemblent pas. Il y a l'ambition par émulation et celle nourrie par la rivalité. L'ambition par émulation est vraisemblablement plus noble et constructive. "Emulation ne désigne que la concurrence, et la rivalité dénote le conflit. Il y a émulation quand on court la même carrière, et rivalité quand les intérêts se combattent." "L'émulation excite ; la rivalité irrite. L'émulation suppose en vous de l'estime pour vos concurrents : la rivalité porte la teinte de l'envie". A travers l'exploration des différents profils d'ambitieux comme les savants, artistes, chanteurs, sportifs, écrivains, navigateurs, philosophes, entrepreneurs et politiques, V. Cespedes fait sans cesse référence à 3 styles d'ambition : les CQFD, les CQFE et les CQFC. J'avoue ne pas toujours avoir bien suivi la singularité des ces trois sigles mais voici en résumé ce qu'ils signifient :
- CQFD : ambition démonstrative. Hélas + mépris/hostilité = CQFD (ambition névrotique, but : davantage de pouvoir)
- CQFE : ambition expressive. Hélas + amour/admiration = CQFE (ambition exhilare, but : davantage de puissance)
- CQFC : l'ambition refoulée, dont le "club des 27" en est le parfait exemple (les rockers décédés à l'âge de 27 ans). Hélas + culpabilité = CQFC (ambition refoulée, but : davantage d’impuissance.
L'ambition expressive, étant bien sûr la plus noble et la plus humaniste des trois. Et l'on se demande dans laquelle des trois catégories se situe V. Cespedes, car pour écrire sur l'ambition, ne faut-il pas être soi-même animé d'une terrible ambition ?!

Le philosophe qui incarnerait le mieux l'ambition est Nietzsche, avec son concept de la volonté de puissance. Ce philosophe que l'on chérit généralement à l'adolescence, l'âge où l'on croit que l'on peut changer le monde. Et que l'on oublie dès que l'on entre dans l'âge de raison... "Nietzsche fait tonner une autre musique, dérangeante au possible. Toute sa pensée tente justement de sauver l'ambition de l'eau bénite et de la "moraline"". Côté littérature, c'est Balzac qui est l'un des "plus profonds romanciers de l'ambition". Dès lors, n'hésitez pas à glisser dans votre sac "Le Gai savoir" de Nietzsche et un des livres de la saga de la comédie humaine pour renouer avec l'ambition.

Être ambitieux, c'est aussi ne pas avoir peur de l'échec. Aller même à sa rencontre de façon volontaire. Car comment réussir si on n'a pas essuyé quelques échecs au préalable ? Est-ce la réussite qui nous pousse à être meilleur ou au contraire nos échecs ? Pour illustrer l'importance de l'échec dans la construction de l'ambition, V. Cespedes donne l'exemple de la créatrice américaine de la marque "Spanx", Sara Blakely. Le père de Sara avait un rituel pendant le dîner qui consistait à demander à sa fille et son fils leurs non-succès de la semaine : "Quelles choses vous n'avez pas réussies cette semaine ?". Ne rien trouver n'était pas apprécié. En revanche, citer un échec donnait droit à un "give me five". Comme l'explique V. Cespedes, "Il s'agit d'une inversion méthodique de la honte de perdre - honte engendrant un stress chronique, préconisé par les éducations anti-ambitionnelles qui sécurisent les démocraties de sélection (en France notamment)".

Derrière ce livre, vous l'avez compris, V. Cespedes en profite pour dénoncer le mal français, trop d'éducation anti-ambitionnelle, trop d'ectoplasmes et de platitudes, et surtout la peur de l'échec. C'est un livre à lire avec ses tripes. Mais, attention vous n'y trouverez pas de mode d'emploi pour devenir ambitieux. Il ne s'agit pas de l'un de ces livres de coaching avec recettes toutes faites dont raffolent les américains. Néanmoins pour ceux qui aiment les conseils, voici un résumé de ce que j'en ai retenu :
- connaître des "hélas" au début de son existence
- sortir de sa zone de confort
- se familiariser avec l'échec
- être ambitieux par émulation plutôt que par rivalité (admirez mais ne détestez pas)
- et rêver !

Ce livre m'a finalement rappelé un autre ouvrage que j'avais lu il y a une dizaine d'années "La noblesse des vaincus" de Jean-Marie Rouart, un livre qui honore les ambitieux vaincus, car les vainqueurs sont très ennuyeux. Jean-Marie Rouart y écrit d'ailleurs : "Le succès n'apprend rien, c'est aussi bête que la chance". "Les écrivains, les artistes qui songent si souvent au succès (...) qu'ils en soient conscients ou pas, ont choisi l'échec. Ils savent que dans l'aventure qu'ils ont entreprise, on n'arrive jamais à la fin du voyage, on meurt de soif au bord de la fontaine. "

Morale de l'histoire, choisir l'échec peut être une façon de renouer avec l'ambition...

L'ambition ou l'épopée de soi, Vincent Cespedes, Flammarion, 2013.




Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 21 Septembre 2014 à 15:06 | Commentaires (0)

Louis, Enzo, Charlotte, Océane, Léa... Souvent choisis par effet de mode, les prénoms ne sont pourtant pas anodins. Les parents n'en ont pas forcément conscience et privilégient la plupart du temps le prénom "coup de cœur" qui les fait rêver. Ont-ils raison ? Pas toujours car le prénom peut conditionner quelques aspects de l'avenir de leur enfant. Et ce, non pas pour des raisons d'astrologie ou de numérologie ! En effet, de nombreuses études en psychologie ont été réalisées pour évaluer l'impact d'un prénom sur les comportements de celui qui le porte que de ceux qui peuvent le juger. Le livre de Nicolas Gueguen sur la psychologie des prénoms est à ce titre fort intéressant et instructif.


Attention : choisir le prénom d'un enfant n'est pas anodin pour son futur
On sait déjà qu'un prénom renseigne sur l'origine sociale de la personne. L'impact sociologique d'un prénom est manifeste si l'on compare des faire-part publiés dans des journaux comme le Figaro ou des magazines plus populaires. "Le prénom est chargé de transmettre une information sociale sur son porteur". Il faut savoir tout de même que cette différenciation par le prénom était moins forte avant les années 70. Mais, notre société recherchant à tout prix la singularisation, le prénom en est déjà la première empreinte. Le prénom peut même renseigner sur le niveau éducatif de la mère de l'enfant !

Dis-moi comment tu t'appelles, je te dirai si ta mère a fait des études...
D'après une étude américaine (Lieberson et Bell 1992), plus le niveau d'éducation de la mère est élevé, plus le prénom a tendance à être commun. Cela s'expliquerait par le fait que les femmes qui font des études ont davantage la volonté de s'adapter à la société, savent généralement se montrer plus conformistes et par conséquent moins enclines à choisir des prénoms trop singuliers.

Plus c'est court, plus c'est tendance !
Si vous avez choisi pour votre enfant un prénom court, vous êtes pile dans la mouvance du moment. Le top : deux syllabes, sinon rien. Cette tendance aux prénoms courts est d'ailleurs paradoxale car elle est plus difficilement compatible avec le besoin de singulariser son enfant. D'après d'autres études, plus un prénom contient de lettres, plus on l'estime féminin et empreint de moralité. Mais moins on l'estime populaire... "Les plus longs sont associés avec le succès, la moralité (qui sont des caractéristiques du statut social) tandis que les plus courts sont associés à la popularité, la gaieté (qui sont des caractéristiques de la familiarité)." Gaieté ou moralité, à vous de choisir !


Tant pis pour les féministes, la théorie des genres est toujours aussi infiltrée dans le choix des prénoms
Les prénoms des garçons sont en général moins singuliers que ceux des filles : les parents cherchant surtout pour leurs garçons un prénom qui les pose socialement, alors que pour les filles, la recherche de l'esthétique prend souvent le dessus. Mais attention les jeunes filles ayant un prénom inhabituel ont tendance à être plus névrotiques. Aider votre future fille à éviter des futures séances de psychanalyse interminables peut être utile...

Apprécier son nom et son prénom favorisent l'estime de soi
Et cela est vrai également pour mesurer son niveau de rigueur, plus on aime son prénom, plus on s'estimerait consciencieux. Etrange, non ? Après, on peut se demander quel est l'effet, quelle est la cause. Est-ce que c'est parce que l'on est consciencieux que l'on aime davantage son prénom, ou l'inverse ? Les paris sont ouverts.

Les prénoms pourraient également avoir un effet sur notre santé...
Alors que des publicités nous rabâchent quotidiennement qu'il faut manger 5 fruits ou légumes par jour pour préserver sa santé, nos initiales pourraient également jouer un rôle dans notre état de santé. Des initiales à connotation positive comme "VIP" au lieu de "FAT" favoriseraient une longévité plus importante que la moyenne. Un gain de 4,48 ans ! Les parents doivent se méfier des acronymes négatifs..


L'influence du nom sur notre crédibilité professionnelle : un professeur de maths dénommé Mr Py aura plus de succès que Mr Durand
D'après une étude réalisée avec des annonces pour proposer des cours particuliers de mathématiques, les parents ont davantage appelé les professeurs qui avaient un nom évocateur comme Mr Clair ou Mr Py que Mr Dupont.
Nous sommes aussi en général plus cléments envers ceux qui portent le même prénom que nous, par l'effet de familiarité que ce prénom produit sur nous. Il ne faut pas pour autant s'inquiéter de ce manque d'objectivité, car ces critères inconscients comme le prénom nous influencent que quand nous n'avons pas d'autres critères plus objectifs : "lorsque nous ne trouvons pas de différence entre 2 personnes et que nous devons pourtant faire un choix, nous refusons de nous remettre au hasard. Nous cherchons donc des variables certes peu pertinentes (beauté, prénom)les éléments nécessaires qui vont permettre d'effectuer cette différenciation."


Et enfin, la grande question : existe-t-il une personnalité des prénoms ?
Sur la question des personnalités, les psychologues sont sceptiques et parlent d'un "effet Barnum". Les portraits décrits par prénom seraient toujours suffisamment généralistes pour s'adapter à n'importe quel type de personnalité. Ils ne seraient par conséquent pas fiables. En revanche, une étude prouverait qu'il y aurait un déterminisme du jour de naissance. D'après cette étude, les délits les plus graves seraient commis par des garçons nés un mercredi... Alors que les enfants nés un lundi seraient plus calmes. Effet de prophétie s'autoréalisant ? Les croyances peuvent affecter le comportement des enfants. Dans tous les cas, cela donne du grain à moudre à l'astrologie !



Pour en savoir plus :
Psychologie des prénoms, pour mieux comprendre comment ils influencent notre vie, Nicolas Gueguen, Editions Dunod (100 Petites expériences de psychologie).




Rédigé par Marjorie Rafécas le Mardi 27 Mai 2014 à 09:34 | Commentaires (0)

Avons-nous tendance à idéaliser le passé ? Un thème que F. O. Giesbert a repris et réanimé samedi dernier dans le cadre de son émission "Les grandes questions" avec deux philosophes de qualité, Roger-Pol Droit, pour qui la nostalgie reste "un vieux travers humain" et Vincent Cespedes, qui vient de publier "L'ambition ou l'épopée de soi", un titre qui "vibre" aux antipodes du cocon accueillant de la nostalgie. Alors, "Nostalgie : était-ce mieux avant ?"


photo Jacques Henri Lartigue, Yvonne, Koko et Bibi. Royan, juillet 1924
photo Jacques Henri Lartigue, Yvonne, Koko et Bibi. Royan, juillet 1924
A travers cette émission, je n'ai pu m'empêcher de penser au dernier essai d'Alain Finkielkraut qui a fait couler beaucoup d'encre et qui est précisément sur ce thème de "c'était mieux avant". Avant de savoir si A. Finkielkraut a raison de se montrer aussi pessimiste, il est bon de rappeler, comme le souligne Roger-Pol Droit, que quand on affirme "c'était mieux avant", il est important de définir "quand exactement" ? Et pourquoi "c'était mieux" ? Car différent ne veut pas dire mieux... Si l'on prend l'exemple de la médecine, aujourd'hui, on soigne mieux que dans le passé et il y a des chances que dans le futur, des progrès soient encore réalisés. Dans ce domaine, le "c'était mieux avant" est donc à proscrire. Attention également à ne pas tomber dans l'écueil de la subjectivité, on peut avoir l'impression qu'avant c'était mieux, parce que l'on était tout simplement plus jeune et que l'on avait moins mal aux articulations... Comme le fait remarquer Vincent Cespedes, la nostalgie est avant tout une notion subjective.

Que penser de "L'identité malheureuse" d'Alain Finkielkraut : la nostalgie a-t-elle du bon ?
Alors A. Finkielkraut a-t-il raison de regretter la France passée ? Le problème est que dans son essai, il mélange différentes réalités qui n'ont pas les mêmes causes : l'évolution de la société liée aux avancées des nouvelles technologies (qui n'est pas un phénomène français mais international), les problèmes d'égalité homme-femme dans les "banlieues" qui remettent en cause la tradition littéraire galante française, l'hypocrisie des bobos, l'excès d'égalitarisme qui viendrait amoindrir le sens des valeurs... Bref, il est difficile de s'y retrouver et de donner tort ou raison à son auteur, tant il y a de subjectivité et d'idées éparses.

Quand il critique les nouvelles technologies et les réseaux sociaux en citant le sociologue Christian Baudelot "On fait plusieurs choses à la fois et de moins en moins longtemps la même chose". Faut-il en déduire pour autant que le monopole du livre "papier" était mieux avant ? Le problème n'est pas tant les nouvelles technologies que notre éternel problème de rapport au temps. Le temps va trop vite, les phénomènes de "burn out" sévissent et c'est certainement pour cela que nous avons besoin de nostalgie pour ralentir le rythme de nos vies saccadées.

Quand il se moque des bobos, on peut bien évidemment sourire, car cela nous fait irrésistiblement penser à notre classe politique, donneuse de leçons, mais qui ne se les applique jamais à elle-même. Les bobos "prônent l'abolition des frontières tout en érigeant soigneusement les leurs. Ils célèbrent la mixité et ils fuient la promiscuité. Ils font l'éloge du métissage mais cela ne les engage à rien sinon à se mettre en quatre pour obtenir la régularisation de leur "nounou" ou de leur femme de ménage"." Pour être crédible, encore faut-il donner l'exemple. Mais est-ce que c'était mieux dans le passé ? Rien n'est moins sûr...

Lorsqu'il défend les rapports complices qu'ont su créer les hommes et les femmes en France, à quelle époque fait-il référence exactement ? Ne serait-ce pas là une vision un peu idéalisée des rapports homme/femme quand on voit avec quelle vitesse l'actuel président de la république a "répudié" sa première dame... Vivait-on vraiment avant dans une patrie féminine et littéraire ? Si on peut être d'accord avec lui sur le fait que le port du voile par une femme ne la met pas sur un même pied d'égalité qu'un homme et modifie les rapports homme/femme, il faut en revanche reconnaître que la femme n'a pas toujours eu une place de choix dans la société française. La société a mis du temps à évoluer et il s'agit aujourd'hui plutôt de ne pas reculer.

En dehors de la nostalgie, là où on peut le rejoindre assez aisément, c'est sur celui du raz le bol de la pensée unique, du politiquement correct, du "conformisme idéologique de notre temps". "Le politiquement correct n'est pas n'importe quelle idéologie dominante. il est l'enfant du "Plus jamais ça"". Alors entre le c'était mieux avant et plus jamais ça, il y a peut-être un antagonisme à dépasser. Attention également à l'excès d'instrumentalisation de la notion d'égalité, ne pas confondre égalité des droits et l'égalitarisme. Souhaiter que tous les citoyens soient "identiques" est illusoire et presque nihiliste. "Habités par la passion égalitaire nous menons le combat contre les discriminations jusqu'au point où tout finit par se valoir".


Que penser de "L'identité malheureuse" d'Alain Finkielkraut : la nostalgie a-t-elle du bon ?
Pour en revenir à la nostalgie, la question n'est pas de savoir au final si A. Finkielkraut a raison d'être nostalgique, mais pourquoi est-il nostalgique ? Comme l'explique si bien Barbara Cassin dans son livre "La nostalgie", la nostalgie est comme l'Odyssée d'Homère, qui interroge le rapport entre patrie, exil et langue maternelle. "Enracinement et déracinement, voilà la nostalgie". En plein exil américain, c'est la langue allemande qui manquait à Hannah Arendt et non pas l'Allemagne, ni le peuple allemand. Si le lien qui unit A. Finkielkraut à la France est la langue de Molière, la littérature française, sa nostalgie s'éclaire. Car "la nostalgie est moins une affaire de sol, que de langue natale".

Sources :
L'identité malheureuse, Alain Finkielkraut, Stock 2013.
La nostalgie, quand donc on est chez soi ?, Barbara Cassin, Autrement 2013.
Emission citée :
http://pluzz.francetv.fr/videos/les_grandes_questions_f5_saison2_,95769484.html?fb_action_ids=10152219525774905&fb_action_types=og.likes&fb_source=other_multiline&action_object_map=[186659641543154]&action_type_map=[%22og.likes%22]&action_ref_map=[]

le Mercredi 29 Janvier 2014 à 06:41 | Commentaires (0)

2013, un siècle après la naissance d'Albert Camus, nous a permis d'assister à un foisonnement de publications de cet auteur génial, décédé décidément trop tôt... Cet été, j'ai profité de la lumière estivale pour lire le Camus de Michel Onfray (L'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus) et relire Le premier homme (livre sur lequel d'ailleurs s'est beaucoup appuyé Michel Onfray pour les éléments biographiques), pour me replonger dans l'humilité de cette philosophie si lumineuse. Mais aussi pour assister au procès de Sartre contre Camus, car l'essai de Michel Onfray ressemble surtout à une réhabilitation de l'image de Camus contre Sartre. Une plaidoirie vigoureuse contre la mauvaise de foi de l'auteur de la nausée et du néant. "Camus a dû faire face à la haine de tant de gens pour avoir eu raison trop tôt." Quand on pense que Brochier et BHL ont vu dans "Noces", ce bel ouvrage de Camus, une philosophie pétainiste... Les bras nous en tombent.


Pour 2014, pourquoi ne pas s'inspirer de la pensée lumineuse de Camus ?
Quelle serait alors la "Camus Attitude" pour savourer la nouvelle année autrement ? Voici quelques pistes...

Apprendre la comparaison descendante
Vous devez vous demander, mais qu'est-ce donc que la "comparaison descendante" ? On entend souvent que se comparer rend malheureux, oui mais, tout dépend avec qui l'on se compare. Si l'on se compare avec des moins chanceux que soi, on prend nécessairement de la hauteur. Peut-être que c'est grâce à ce mécanisme psychique inconscient que Camus a toujours été lumineux, car il n'a jamais oublié d'où il venait. "La pauvreté a appris à Camus l'incapacité à l'amertume, mais aussi l'incertitude d'avoir réussi. Fils de pauvre pour lequel la culture n'est pas un héritage mais une conquête et qui se trouvera toujours illégitime dans le milieu intellectuel".
Sa maladie lui a donné également la bonne distance concernant les autres et le monde. "La comédie humaine préserve de l'envie ou du ressentiment".

Pour ne plus envier
"Devant ma mère, je sens que je suis d'une race noble : celle qui n'envie rien".
Enfant, Camus constate que, chez les riches, les objets disposent d'un nom. "Dans une maison bourgeoise, on parle du grès flambé des Vosges, du service de Quimper ; dans une maison de pauvre, il n'existe que des assiettes creuses, le vase posé sur la cheminée ou le pot à eau". Mais, "Ne rien désirer, ne rien envier" reste sa force.


Etre fidèle à la lumière de son enfance
Camus a toujours glorifié l'intensité qu'a pu lui procurer la "modeste" lumière du soleil dans sa vie."La pauvreté avec le soleil n'est pas la misère ; sans la lumière méditerranéenne la même pauvreté définit l'enfer sur terre." Chacun d'entre nous a au fond de lui sa madeleine de Proust qui l'extirpe du sentiment du vide. C'est ce refuge, ce Tipasa si bien décrit dans les Noces de Camus, qu'il faut cultiver et y être fidèle même dans ses moments les plus sombres.
"Au plus noir de notre nihilisme, j'ai cherché seulement des raisons de dépasser ce nihilisme. Et non point d'ailleurs par vertu, ni par une rare élévation de l'âme, mais par fidélité instinctive à une lumière où je suis né et où, depuis des millénaires, les hommes ont appris à saluer la vie jusque dans la souffrance".
"Je sais cela de science certaine, qu'une œuvre d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l'art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur une premier fois, s'est ouvert" Noces à Tipasa.


Dépasser la pensée binaire
Camus n'est pas dans les schémas binaires de la pensée classique. Au moment de son accident fatal, se trouvait dans sa serviette Le gai savoir de Nietzsche en plus de son manuscrit sur le premier homme. L'amour de Camus pour le philosophe allemand dure depuis l'âge de ses 19 ans où il a découvert la théorie de Nietzsche sur la musique. "Camus a un rôle de Méditerranéen qui propose des solutions solaires, nietzschéennes, radieuses, indexées sur la pulsion de vie, aux antipodes du tropisme français et européen, nocturne, hégélien et marxiste, indexé sur la pulsion de mort."
Sujet d'actualité : Michel Onfray à travers Camus nous conseille de nous méfier des politiques qui se nourrissent du ressentiment. "Nietzsche s'oppose au socialisme de ressentiment : animé par l'envie de revanche, conduit par le désir de vengeance, ce socialisme-là s'installe du côté des passions tristes." Ainsi, s'habituer aux aphorismes contradictoires de Nietzsche permettrait peut-être d'échapper à la pensée binaire ambiante...


Etre courageux et avoir une éthique
Même si de nos jours, tout encourage à ne pas avoir d'éthique, c'est évident que pour se sentir bien dans sa peau, il est préférable d'en avoir une et surtout d'avoir des convictions. Comme le fait remarquer Michel Onfray, "Camus fit du journalisme une éthique, un combat politique. il dénonce les mœurs de la classes politique, les politiciens corrompus, la logique clientéliste.". "Le journalisme est le plus beau des métiers du monde - quand il n'est pas le pire : le plus beau s'il prend le parti de la vérité et de la justice, s'il défend la veuve et l'orphelin, s'il enquête et dénonce les scandales - le pire s'il se met aux ordres d'une idéologie, d'un système, des puissants ou s'il donne à l'homme du ressentiment les pleins pouvoir et l'impunité de son support". Alors quand Closer dévoile la nouvelle relation du Président avec Julie Gayet, est-ce du journalisme "poubelle" ou au contraire une mise en lumière de l'utilisation du pouvoir pour des fins personnelles ? A voir...

L'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus, Michel Onfray, Flammarion.

le Samedi 11 Janvier 2014 à 10:48 | Commentaires (0)

"L'invention de la vie de bohème" (et pas bohême s'il vous plaît même si l'accent circonflexe sied mieux à l'esprit bohème !), enfin un livre pétillant d'images et de pensées effervescentes pour s'échapper de l'ambiance grisâtre du moment (et accessoirement des 50 nuances de grey !)...


Après le livre "l'invention de la vie de bohème" de Luc Ferry, les bobos seraient-ils des ringards ?!
Avouons que nous connaissons globalement assez mal l'époque historique de 1830-1900. Après la grande et tumultueuse révolution française et l'aplomb persistant d'un Napoléon Bonaparte, nos mémoires d'écolier/lycéen ont déjà amplement saturé. En dehors de quelques figures littéraires incontournables de cette époque comme Victor Hugo ou Gustave Flaubert, les termes comme hydropathes, zutistes, hirsutes et incohérents, ne sonnent pas à nos oreilles comme des bruits très familiers. Et pourtant ce sont les ancêtres des bobos ! Luc Ferry a eu une excellente idée de nous faire remonter le temps pour faire connaissance avec ces êtres extravagants et pleins d'humour que sont les bohèmes de 1830 à 1900. Il ne s'agit pas tout à fait d'un essai philosophique, mais plutôt d'un livre d'art, avec de belles reproductions d'affiches, de caricatures, de dessins et gravures, entremêlés de réflexions philosophiques et sociétales. Un concept d'ailleurs intéressant pour se cultiver en matière artistique tout en philosophant.


Après le livre "l'invention de la vie de bohème" de Luc Ferry, les bobos seraient-ils des ringards ?!
L'esprit bohème se positionne avant tout en rupture avec les monde bourgeois, le fameux "Mr Prudhomme". Ce qui d'après Luc Ferry est un héritage de la révolution française et du cartésianisme. En rupture aussi avec la prose du quotidien, l'esprit bohème a également un goût incontestable pour la dérision. L'humour qui aide souvent à déconstruire ses idoles à coups de marteau. Jeunisme antivieux, paradis artificiels avec Théophile Gautier, culte de la fête, les bohèmes finissent quasiment toujours par trahir leurs idéaux de jeunesse et par se convertir au confort bourgeois. Luc Ferry compare ces artistes bohèmes à la génération 68 reconvertie au Medef, l'inspection générale ou les sénatoriales... Faut-il s'en étonner ? Non, car "la bohème ne fut en réalité, pour parler comme le vieux Marx, qu'une des superstructures paradoxales du monde bourgeois.", "Le bourgeois et bohème s'accordant finalement dans l'impératif commun de l'innovation pour l'innovation". Notons au passage, qu'Albert Camus, philosophe non issu du monde bourgeois, a très bien flairé cet esprit rebelle de faussaire chez Baudelaire et les surréalistes. "Le dandy se croit supérieur, aristocrate, il revendique une extrême solitude et un surstoïcisme, mais, dans les faits, il a besoin de l'assentiment d'autrui, car seul son regard le constitue, on ne fait donc pas plus servile, pas plus esclave que cette caricature de grande et belle individualité. Il s'imagine unique, mais autrui le constitue comme une chose à sa merci" (extrait du livre de Michel Onfray, l'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus). Camus n'aurait probablement pas souscrit au phénomène du boboisme...

Aussi, point étonnant que l'esprit bohème soit né avec le capitalisme. Luc Ferry rappelle que le capitalisme, loin d'être conservateur, se caractérise d'abord et avant tout par une espèce de "révolution permanente". Par conséquent, le capitalisme pousse à l'innovation perpétuelle à tout prix. Et l'art contemporain témoigne de cette course folle à l'originalité, dénuée de sens, qui ne cherche point à créer de la beauté, mais qu'à interpeler. Autrefois, "l'artiste, à la différence du philosophe ou du savant, était celui qui avait le génie d'exprimer des valeurs, des sentiments, des idées ou des symboles, non par des concepts et des formules abstraites, mais par le mise en forme d'une matière immédiatement perceptible par tout un chacun". L'art contemporain est au final l'héritier de l'esprit de bohème, en ce qu'il ne cherche pas à créer de la beauté, de l'harmonie, mais de l'inédit. Question alors, l'art contemporain, en répétant sans cesse le même objectif hérité d'une époque vieille comme le début du capitalisme, ne serait-il pas en train de devenir ringard ? Le XXIème siècle nous le dira... Mais, tant qu'il y aura des snobs et des bobos, Damien Hirst et Jeff Koons peuvent dormir sur leurs deux oreilles !

L'invention de la vie de bohème, 1830-1900, Luc Ferry, Editions Cercle d'art, 2012. 246 pages.


Rédigé par Marjorie Rafécas le Lundi 11 Mars 2013 à 23:31 | Commentaires (0)

Je viens d'achever le roman la liste de mes envies de Grégoire Delacourt, c'est court, savoureux, cela se lit comme une petite Madeleine de Proust. Halte à la grandiloquence, glorification des petites choses, de l'infiniment petit... Le personnage central du roman, Jocelyne, "petite" mercière dans la ville d'Arras, à la vie bien ronde et monotone, voit tout à coup son train-train quotidien brisé par un gain au loto de dix huit millions d'euros ! C'est ainsi qu'elle se met à rêver et à écrire la liste de ses envies.


photo Anthropologie (une enseigne très cocooning)
photo Anthropologie (une enseigne très cocooning)
Elle a des envies toutes simples. Mais elle a peur d'encaisser son chèque. De quoi a-t-elle peur ? De la fin du désir ? Car celui qui a tout, que peut-il désirer ? La fin du désir, c'est la mort. Ce qui est symbolisé par la mort de son mari, qui lui n'a pas hésité à encaisser le chèque comme un grossier personnage, obèse de cupidité.

Au-delà du côté un peu moraliste de l'histoire, un peu comme La Grenouille de La Fontaine qui voulait être aussi grosse que le bœuf, c'est la tendance au repli qui respire dans tout ce roman. Cette tendance sociétale très actuelle. Faut-il s'en inquiéter ? Ce repli sur soi est souvent critiqué par les personnes engagées qui ne comprennent que l'on "subisse". Or, on peut aussi faire du social en tenant un blog sur la couture... Le repli, c'est aussi une sorte de sagesse. C'est l'amour simple et humble (pas des grandes passions), le bonheur du quotidien, la gaieté, la chaleur d'une petite maison sans prétention, les détails... Cela plaît apparemment bien aux Français, car c'est dans la même lignée que les livres de Muriel Barbery, Anna Gavalda ou Philippe Delerm. Les Français ont-ils renoncé de croire aux grandes choses ? Il semblerait que l'on soit toujours autant dans l'ère de la désillusion. Et cela ne va pas en s'arrangeant...

Alors, vivent les petites choses ! Vive le cosy ! Seul risque : un excès de mollesse :-)

Mais, le fait d'avoir des petites envies permet de se tenir à l'abri du terrible sentiment de l'envie. Comme disait Albert Camus : "Devant ma mère, je sens que je suis d'une race noble : celle qui n'envie rien". Ne rien envier, la nouvelle force avant la fin du monde ?! A vous de voir si vous en êtes capable...
En attendant la date fatidique du 21 décembre, je vous propose exceptionnellement une compil de titres musicaux très cocooning pour rester serein et détendu (qui se mariera bien avec la lecture de La liste de mes envies !), car un peu de thérapie musicale ne fait jamais de mal :
- Love, Nat "king" Cole
- Yeh Yeh, Goergie Fame and The Blue Flames
- A fair affair (Je t'aime), Misty Oldland
- Why can't we, Asa
- I Know, Irma
- One, Mary J. Blige & U2
- Hey ya, Irma
- Battez-vous, Brigitte
- This is a love song, Lilly Wood and The Prick
- Dee Doo, Cocoon
- Make a sound, Lou Doillon
- Pain is, Alex Hepburn
- Hallelujah, Astrazz
- How can you mend a broken heart, Al Green
- Phone Call, Ornette
- For once in my life, Vonda Shepard
- Close to you, Solitaire
- It's not unusual, Tom Jones
- Will you still love me tomorrow ?, Amy Winehouse
- Mercy mercy me, Marvin Gaye
- Me and Bobby McGee, Janis Joplin
- Your song, Billie Paul
- Call me, Aretha Franklin
- It's been done, Angela McCluskey
- Pensons à l'avenir, Cali.

La liste de mes envies, Grégoire Delacourt, 2012, Editions JC Lattès.


Rédigé par Marjorie Rafécas le Mardi 11 Décembre 2012 à 22:54 | Commentaires (2)

Alors que Michel Onfray rassemble encore toutes ses forces pour démontrer que Freud est un imposteur, on pourrait se demander si sa prochaine cible ne sera pas les inventeurs du rock :-). Car le rock n'est-il pas un peu l'abolition du surmoi ?! C'est encore à cause de Freud tout "ça" !
Après "Rock'n philo" de Francis Métivier, je me suis plongée dans le livre "Culture Rock" de Denis Roulleau, attirée par les couleurs très "pop" et vitalisantes de la couverture. Je n'ai pas été déçue d'avoir traversé les mythes (au sens de Roland Barthes) de cette révolution culturelle. Aisément accessible, cette encyclopédie est composée de 250 entrées par ordre alphabétique, dans une ligne graphique très Rock & Folk. On peut y entrer par n'importe quelle lettre, l'effet psychédélique est assuré !


La culture rock, un mode de pensée aussi révolutionnaire que la psychanalyse ?
"Il y a des gens rock qui ne jouent pas du rock and roll : Jean-Paul Sartre n'a rien à voir avec le rock et pourtant il est rock ! C'est pour cela que, finalement, je crois qu'il s'agit d'une culture.", disait bizarrement Pete Townshend de The Who. Sartre, un philosophe rock and roll ? Ce n'est pas l'image la plus spontanée que nous avons de l'auteur de la Nausée, mais comme l'esprit rock est très ambivalent, le maître du paradoxe pourrait y faire figure d'icône !

Le rock irrigue tellement de domaines (littérature, cinéma, mode, graphisme...), qu'il est difficile d'en saisir un système de pensée. Une ligne directrice semble néanmoins se dégager nettement : se rebeller contre tout système, le pouvoir de la négation (attention nous frôlons le nihilisme). Dans le livre "Culture Rock", le rock se découvre (sans tout à fait se dévoiler) par des mots qui se lisent comme des tatouages de l'histoire du rock : Androgynie, Beat Generation (J. kerouac, A. Ginsberg et W. Burroughs), Charles Bukowski, Canal plus, Censure, Contre-culture, Comics, Deezer, Festivals, Flyers, Indépendant, les Inrockuptibles, Ipod, Jean, Libération, Logo, lunettes noires, MTV, Myspace, Boris Vian, Vinyle, pédale Wah-wah, the Wall... La mythologie du rock nous enivre. Si bien qu'à la fin, on a envie de jouer à un quizz : rock ou pas rock ? Exemples, les réseaux sociaux, c'est rock ou pas rock ? Twitter c'est rock, mais Facebook, avec ses avalanches de portraits "photoshopés", est bien trop lisse pour se prêter aux aspérités d'une guitare enragée. Entre Paris et Londres, quelle est la ville la plus rock ? Londres sans la moindre hésitation... Entre le journal Libération et Le Monde... Libé l'emporte largement. Mais pourquoi ? Pour comprendre, j'attends maintenant un livre sur la pensée rock and roll !

En attendant que sorte ce prochain livre, voici mon pronostic en philosophie (sans réfléchir) :
Les philosophes les plus rocks : Nietzsche et Schopenhauer
Les philosophes les moins rocks : Kant et Rousseau (quoiqu'encore Rousseau peut avoir un côté très naïf and folk !)

C'est bien évidemment discutable ! So, let's rock Kant...

"Culture rock, l'encyclopédie", Denis Roulleau, Flammarion, 2011.

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 11 Novembre 2012 à 15:52 | Commentaires (2)

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Marjorie Rafécas
Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.




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