II faut choisir : ça dure ou ça brûle ; le drame, c'est que ça ne puisse pas à la fois durer et brûler. Albert Camus

I phil good !

Dimanche 31 Décembre 2023

Si 2023 nous a un peu chahutés, autant s’armer pour 2024 avec un esprit renaissant et créatif.

Deux livres me paraissent revigorants pour adopter un élan salvateur à l’occasion de cette nouvelle année : « Pourquoi la renaissance peut sauver le monde » de Karine Safa (2022), et «Réenchanter l’Occident» de Marie-Laure Colonna (2019). Le premier livre rejoint la thèse que nous avons défendue avec ma coauteure Ferial Furon dans l’ouvrage « La revanche du cerveau droit » : en finir avec le dualisme cartésien et épouser à nouveau la complexité du monde et le décloisonnement des disciplines, avec poésie et alchimie.
Marie-Laure Colonna, cette psychanalyste jungienne et philosophe, fait partie des 40 esprits libres et visionnaires interviewés dans notre livre « La revanche du cerveau droit » et soutient l’idée que notre société moderne, technique et cloisonnée est la métaphore du démembrement du dieu égyptien Osiris ou de la dualité grecque Apollon/ Dionysos.

N’oublions pas que « diable » signifie étymologiquement « diviser ». Ainsi cloisonner, segmenter, opposer, toutes les visions tranchées et manichéennes restent dangereuses. Pour enfin progresser, il faut atteindre la sagesse d’unifier ses opposés.


L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024
Notre monde est incertain. Mais ne l’a-t-il pas toujours été ? La nostalgie du passé peut nous faire croire le contraire, mais en réalité l’incertitude est l’alliée de la liberté. Peut-être que les êtres humains ont montré selon les époques plus de convictions et d’optimisme. A la Renaissance, l’incertitude était par exemple une source de vitalité, et non pas d’anxiété. L’incertitude, c’est aussi ce qui crée la souplesse, fait reculer les frontières du possible…

L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024
En 1500, le premier livre sur l’imagination voit le jour. C’est celui de Jean-François Pic de la Mirandole, nous rappelle Karine Safa. L’imagination ne sert pas qu’à la créativité. Elle est aussi un vecteur important de lien pour lutter contre les systèmes totalitaires. Selon Hannah Arendt, la barbarie politique a pu trouver un terreau dans cette inflation du scientifique et du technique, au détriment de notre insertion, sensible et symbolique dans le monde.

L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024
La pensée magique a remplacé les liens magiques de la Renaissance

La pensée magique est en vogue actuellement dans nos sociétés désenchantées, car la satisfaction du désir sans effort est devenue un paradigme marketing bien rôdé. Mais créer du lien, à la différence de l’illusion de la pensée magique, engendre de la vraie magie. Créer du lien entre des idées farfelues, entre des personnes différentes, entre des saveurs opposées, entre des disciplines hétéroclites… nous ouvre les portes d’un autre monde. Comme nos synapses !
Karine Safa démontre d’ailleurs qu’il existe un point commun entre le Big data et l’esprit de la Renaissance à travers la passion du croisement des connaissances et des idées, pour cocréer un savoir collaboratif. Les algorithmes relient des éléments qui n’ont a priori aucun lien et donnent du sens à ce magma, ce qui rejoint la production d’un mythe. Le lien est ce qui permet de retrouver l’unité profonde du monde par-delà le désordre apparent. Et quand on réfléchit au désir, il est comme une séparation qu’il s’agit de résoudre, mais pour cela, il vaut mieux créer une alchimie du lien, que de sombrer dans la facilité de la pensée magique.

L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024
Pourquoi le dualisme nuit à la créativité et à l’innovation ?

L’homme de la Renaissance aime se perdre dans le labyrinthe, image de la complexité du monde. L’alchimie à cette époque mariait science et poésie. « Allons chercher nos images dans l’œuvre de ceux qui ont longuement rêvé et valorisé la matière : adressons-nous aux alchimistes », écrivait Bachelard. La pierre philosophale est aussi la pierre du créateur et de l’innovateur. Les alchimistes ont eu l’audace de faire dialoguer différentes formes de rationalité. On trouve chez eux une union étonnante entre la technique et la mystique, entre la science et la poésie, domaines qui restent soigneusement séparés aujourd’hui. Jusqu’à la Renaissance, les frontières sont très poreuses entre la science authentique et la magie, qui est l’heure de comprendre les correspondances entre l’Homme et le Cosmos.
L’esprit de l’alchimie tente de tordre le dualisme trop rigide de Descartes ou la logique très formelle d’Aristote. Les alchimistes nous rappellent que la dichotomie qui a façonné la pensée occidentale n’est pas la plus propice à la créativité. Le dualisme est une pure illusion pour les alchimistes.
Les antagonismes qui sont à l’œuvre ne devraient pas être une force d’exclusion, mais de transformation et de création. Ce que prône également Jung, le célèbre psychanalyste suisse. Marie-Laure Colonna explique que pour Jung, à chaque fois qu’un homme, une femme, parvient à unifier en lui ou en elle les opposés, ils gagnent ainsi une sérénité de fond dans la tragédie de l’existence ; quelque chose mute alors dans la psyché collective et la libère d’une part de violence et d’aveuglement. Les sociologues pensent qu’il suffit que 20 % d’un groupe change d’état de conscience pour qu’à la génération d’après, tout le groupe ait évolué.
Les figures d’Isis et de Osiris nous ont légué en héritage ces images alternatives de la féminité et de la virilité où l’homme peut être introverti, inspiré, sensible, contemplatif, romantique et fécond, et la femme, lumineuse, aventureuse et créatrice, sans démériter pour autant de leur sexe.
On retrouve dans la dichotomie entre Apollon et Dionysos, l’opposition d’Osiris, Dieu, paisible, et civilisateur et son frère Seth, un dieu de l’excès, le fameux hybris des Grecs.
C’est Seth qui découpe Osiris en 14 morceaux. Cette métaphore est intéressante car elle rappelle l’origine étymologique de diable qui veut dire diviser. Notre société moderne technique et cloisonnée n’est-elle pas une métaphore de ce démembrement ? Une personnalité trop rationaliste peut être névrosée et voir le monde comme un film noir, un lieu de séparation et d’obstacles.
L’éducation classique nous enseigne à manifester plutôt le côté Apollon, lucide, solaire, rationnel, et à étouffer, notre versant, Dionysos, obscur, sensuel, émotionnel, introverti et poétique. Dionysos peut être comparé à Shiva, dieu ambigu et bisexuel de la création et de la destruction, de la sexualité et de la mystique.
Il existe vraiment une correspondance dans l’esprit de l’Antiquité entre les eaux marines qui, comme celle de l’âme, dissolvent les frontières et relient les mondes opposés, et le vin qui fait fondre les crispations de la conscience, transfigure la beauté du monde et porte au rire, au chant, à l’amour et à la contemplation poétique ou mystique. Marie-Laure Colonna évoque aussi dans son livre cet esprit de la Renaissance qui tente de réconcilier les deux pôles entre Apollon est Dionysos. Le Printemps de Botticelli est d’une beauté incommensurable car il réunit Apollon et Dionysos dans un même jardin paradisiaque.

L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024
Réconcilier l’âme et la science : une deuxième renaissance

La deuxième partie du livre Réenchanter l’Occident de Marie-Laure Colonna, « Réconcilier l’âme et la science : deuxième renaissance », résonne comme un écho anticipateur avec le livre de Karine Safa sur l’esprit de Renaissance publié postérieurement en 2022. Une société plus « individuée » serait une société dont le cerveau gauche et le cerveau droit se seraient mis à coopérer et où l’essor économique et scientifique serait équilibré par le respect de la nature et des valeurs éthiques et spirituelles. La physique quantique va ouvrir des nouvelles portes. Ainsi que le biomimétisme, d’après Karine Safa. Paracelse, le mage médecin, invente l’homéopathie en activant un système d’analogie entre le petit monde qui est l’Homme et le grand monde, qui est l’univers. Le biomimétisme consiste à s’inspirer de la nature pour innover. Léonard de Vinci crée par exemple l’ornithoptère une machine volante, en s’inspirant des oiseaux.
Nourrir son imagination par l’observation de la nature, suppose, un état d’esprit, fait de patience et d’humilité, qui contraste avec l’esprit d’urgence propre à notre postmodernité. Si on rompt l’équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, nous nous mettons en danger. Pour les Alchimistes, la régénération spirituelle et matérielle, ne sont qu’une seule et même chose. Des grandes découvertes naîtront, grâce au remariage entre les sciences, l’art, la philosophie et la spiritualité.

L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024
Et si l’urgence était d’abord philosophique ?

« Et si l’urgence, c’était celle de réinventer notre rapport au temps et de récupérer l’idée si malmenée de progrès ? » suggère Karine Safa. Le progrès relève de l’idée de Pharmakon chez Platon, qui est autant le mal que le remède. Ce n’est pas la ciguë qui a tué Socrate, c’est le syllogisme, écrivait Paul Valéry.
Kepler incarne au contraire une démarche créatrice et pluridisciplinaire : astronomie, astrologie, géométrie, théologie, physique et métaphysique.
La philosophie est au carrefour de toutes les disciplines et permet d’être un pont pour renouer avec cet esprit de la Renaissance. Marie-Laure Colonna témoigne d’ailleurs dans son livre que la philosophie lui a servi de père, et que « la psychologie des profondeurs », l’analyse jungienne, lui a servi de mère.
Nous sommes tous à la recherche de notre Atlantide, symbole de l’âme réunifiée.

L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024
Concernant l’Antiquité grecque, j’ai d’ailleurs vécu une jolie synchronicité avec le livre de Marie-Laure Colonna lorsqu’elle évoque le livre Des jours et des nuits de Gilbert Sinoué qui a été l’un de ses patients. Ce livre Des jours et des nuits m’avait profondément marquée à l’époque et je me souviens encore de l’étrange sensation qu’il m’avait provoquée… Je ne sais pourquoi cette histoire de rêve prémonitoire sur fond de mer Egée, de Cyclades, de catastrophe volcanique à Santorin, m’a perturbée…. Ce livre a été écrit après les séances de psychanalyse qu’a eu l’auteur, Gilbert Sinoué avec Marie-Laure Colonna. Elle lui montra d’ailleurs à la fin d’une séance la déesse mère des Cyclades qui hante ce livre (alors que Gilbert Sinoué n’avait pas vu cette déesse qui était dans la bibliothèque de son analyste depuis des années).
Coïncidence encore plus drôle, aujourd’hui, 31 décembre 2023, jour où j’écris cet article, je lisais sur le quai de la gare, Le petit livre des grandes coïncidences de G. Sinoué et tombe pile sur la page où Gilbert Sinoué évoque cette étrange synchronicité entre la figurine de pierre, symbole de la civilisation des Cyclades, que Marie-Laure Colonna lui montra après avoir lu Des jours et des nuits.
Les synchronicités créent, comme les algorithmes, des liens insoupçonnés et magiques, dont le sens se mérite. A nous de les décoder.

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Pourquoi Nietzsche a-t-il échoué à unir Apollon et Dionysos ?

Nietzsche est le premier philosophe à mettre en évidence, Apollon et Dionysos, ces deux forces contradictoires dans La naissance de la tragédie. A travers son concept de la volonté de puissance, Nietzsche tente de résoudre cette opposition, pour être plus fort et créatif. « Mais, l’instinct en Nietzsche n’est pas suffisamment incarné dans la pâte de la vie vécue, horizontalement comme le travail, les relations, la sexualité et les gains financiers, pour lui permettre de supporter l’élan des intuitions qu’il aspirer verticalement. Sa fin de vie est symboliquement la crise qui devait l’emmener à l’asile et reflète cette dichotomie pathétique. » (Marie-Laure Colonna).
Dionysos a fait son retour dans la vague hippie, dans l’expérience des substances psychédéliques, dans le retour des vampires... Il est aussi un passeur entre les mondes, guérisseur et chaman. Mais il n’a pas encore réussi à s’allier à la tempérance d’Apollon.
Le Dauphin est le symbole de la résolution de la tension conflictuelle entre Apollon et Dionysos. Ce sont les dauphins qui les escortent tous deux et qui servent de symbole de médiateur.

Pic de la Mirandole, écrit dans son texte de La dignité de l’homme : « Tantôt, nous pourrons monter en rassemblant avec une force apollinienne, le multiple dans l’un, tantôt, nous pourrons descendre, en démembrant avec une force titanesque l’un dans le multiple, comme Osiris (et partir en éclats). »

Réconcilier en nous le logos et l’éros, l’instinct et la nature, nous permettrait de retrouver le paradis à l’état conscient. Alors, en 2024, pourquoi ne tenteriez-vous pas l’expérience d’une Renaissance ? Le Printemps de Botticelli et les dauphins vous tendent les bras…



Livres à lire :

- Pourquoi la renaissance peut sauver le monde, de Karine Safa, Plon, 2022
- Réenchanter l’Occident, Vers un éveil de la conscience individuelle et collective, Marie-Laure Colonna, Entrelacs, 2019.
- La revanche du cerveau droit, Une ouverture pour demain, de Ferial Furon, Marjorie Rafécas-Poeydomenge, Editions du Dauphin, 2022.
L’esprit de la Renaissance pour réenchanter 2024

Rédigé par Marjorie Rafécas le Dimanche 31 Décembre 2023 à 16:14 | Commentaires (0)

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Marjorie Rafécas
Marjorie Rafécas
Passionnée de philosophie et des sciences humaines, je publie régulièrement des articles sur mon blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade), ainsi que sur La Cause Littéraire (https://www.lacauselitteraire.fr). Je suis également l'auteur de La revanche du cerveau droit co-écrit avec Ferial Furon (Editions du Dauphin, 2022), ainsi que d'un ouvrage très décalé Descartes n'était pas Vierge (2011), qui décrit les philosophes par leur signe astrologique.




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