"Le président américain Barack Obama souhaite un plafond de 500 000 dollars (390 000 euros) de salaire maximum pour les patrons des banques aidées par l'Etat. Outre-Rhin, le débat est ouvert pour le situer à 1 million d'euros dans toute entreprise."
L'exigence du président de la République de suspendre les bonus des dirigeants des banques refinancées par l'Etat n'a guère provoqué de remous au sein du patronat. De fait, elle est un habile service rendu aux grands capitaines de l'économie privée française : en affirmant que face à de mauvais résultats, les dirigeants doivent perdre leurs bonus, elle valide, par effet de miroir, les rémunérations mirobolantes des périodes de vaches grasses. Les patrons des grandes entreprises seraient ainsi des salariés comme les autres dont les primes doivent être des incitations à la performance.
Pourtant, une importante littérature économique récente a démontré que la rémunération des grands dirigeants n'obéit justement pas à des mécanismes classiques. Si ces grands patrons répondaient à des incitations financières alors que leur revenu de base est déjà stratosphérique, leur préférence pour le risque devrait être extrêmement élevée. Pas impossible ? Mais ils bénéficient en même temps de parachutes dorés conséquents, censés les protéger contre le risque... de perdre leur poste ; pour les justifier, il faudrait, cette fois, qu'ils aient une exceptionnelle... aversion au risque. C'est incohérent !
Il fait désormais quasi-consensus que le panier de revenus et de protections des dirigeants d'entreprise obéit à des phénomènes alternatifs dits de "stars". Deux économistes français basés aux Etats-Unis - Xavier Gabaix et Augustin Landier - en ont proposé un modèle générique. Les entreprises ne cherchent pas à motiver ou à compenser les efforts ou les prises de risque du dirigeant. Elles se battent pour obtenir un meilleur manager. Ainsi, le PDG de la plus grande firme américaine apporterait de l'ordre de 0,1 % de plus de performance à son entreprise que le patron de la 250e. Cela peut paraître très faible, mais compte tenu des tailles de ces groupes, cela peut représenter des dizaines de millions de dollars en plus. Pour attirer un meilleur manager, il suffit donc de verser un salaire supérieur à celui offert par les autres entreprises. La référence n'est donc plus la performance absolue du dirigeant mais la rémunération à laquelle il peut prétendre ailleurs.
Ce système est instable et asymétrique. Pour que la rémunération des grands patrons baisse significativement, il faudrait que l'ensemble des groupes qu'ils dirigent se coordonnent pour la diminuer simultanément. A l'inverse, si quelques entreprises jouent la carte de la surenchère, les autres s'aligneront. Ainsi, alors que les décisions des agents économiques sont rationnelles, on peut observer une hausse rapide des rémunérations sans que cela corresponde à un effort supérieur des dirigeants et donc à des performances accrues de leur entreprise. C'est ce que l'on connaît depuis une bonne décennie dans de nombreux pays.
La machine devient viciée lorsque ce sont des stars qui, au sein des conseils d'administration, fixent les rémunérations d'autres stars : faire augmenter celle du dirigeant d'une autre firme entraîne une hausse de ses propres revenus, pour s'aligner ! Les patrons peuvent alors accaparer une bonne partie de la rente supplémentaire qu'ils génèrent pour leur société ; celle-ci manque pour investir ou rémunérer les actionnaires. Sans parler des aspects moraux de telles rémunérations.
Que peut faire la puissance publique ? Interdire dans les conseils d'administration la présence de dirigeants d'autres grandes sociétés casserait l'inflation, sans changer le mécanisme. D'où, l'idée d'établir un salaire maximum. Ce dernier peut être national car le "marché" des dirigeants reste étonnamment local : les firmes américaines ne cherchent pas de managers français et, inversement, les sociétés de l'Hexagone sont presque exclusivement dirigées par des nationaux.
Le président américain Barack Obama souhaite un plafond de 500 000 dollars (390 000 euros) de salaire maximum pour les patrons des banques aidées par l'Etat. Outre-Rhin, le débat est ouvert pour le situer à 1 million d'euros dans toute entreprise.
Un article d'une doctorante de la Sorbonne, Fabienne Llense, à paraître en mai dans la Revue économique, étudie l'effet théorique d'un "salaire" maximum, ou plus précisément d'une rémunération totale maximale. Celle-ci, écrit l'auteur, permet à de plus petites firmes d'avoir une chance d'attirer un meilleur manager. Pour les plus grosses, la perte de performance est en partie compensée par le coût moindre des dirigeants. Au total, les actionnaires pourraient y gagner. La simulation sur le cas français montre le réalisme de ce scénario. Voilà un résultat plus gênant pour les patrons qu'une renonciation temporaire aux bonus.
Philippe Askenazy, directeur de recherches CNRS, Ecole d'économie de Paris
Article paru dans l'édition du MONDE ECONOMIE du 17.03.09
Pourtant, une importante littérature économique récente a démontré que la rémunération des grands dirigeants n'obéit justement pas à des mécanismes classiques. Si ces grands patrons répondaient à des incitations financières alors que leur revenu de base est déjà stratosphérique, leur préférence pour le risque devrait être extrêmement élevée. Pas impossible ? Mais ils bénéficient en même temps de parachutes dorés conséquents, censés les protéger contre le risque... de perdre leur poste ; pour les justifier, il faudrait, cette fois, qu'ils aient une exceptionnelle... aversion au risque. C'est incohérent !
Il fait désormais quasi-consensus que le panier de revenus et de protections des dirigeants d'entreprise obéit à des phénomènes alternatifs dits de "stars". Deux économistes français basés aux Etats-Unis - Xavier Gabaix et Augustin Landier - en ont proposé un modèle générique. Les entreprises ne cherchent pas à motiver ou à compenser les efforts ou les prises de risque du dirigeant. Elles se battent pour obtenir un meilleur manager. Ainsi, le PDG de la plus grande firme américaine apporterait de l'ordre de 0,1 % de plus de performance à son entreprise que le patron de la 250e. Cela peut paraître très faible, mais compte tenu des tailles de ces groupes, cela peut représenter des dizaines de millions de dollars en plus. Pour attirer un meilleur manager, il suffit donc de verser un salaire supérieur à celui offert par les autres entreprises. La référence n'est donc plus la performance absolue du dirigeant mais la rémunération à laquelle il peut prétendre ailleurs.
Ce système est instable et asymétrique. Pour que la rémunération des grands patrons baisse significativement, il faudrait que l'ensemble des groupes qu'ils dirigent se coordonnent pour la diminuer simultanément. A l'inverse, si quelques entreprises jouent la carte de la surenchère, les autres s'aligneront. Ainsi, alors que les décisions des agents économiques sont rationnelles, on peut observer une hausse rapide des rémunérations sans que cela corresponde à un effort supérieur des dirigeants et donc à des performances accrues de leur entreprise. C'est ce que l'on connaît depuis une bonne décennie dans de nombreux pays.
La machine devient viciée lorsque ce sont des stars qui, au sein des conseils d'administration, fixent les rémunérations d'autres stars : faire augmenter celle du dirigeant d'une autre firme entraîne une hausse de ses propres revenus, pour s'aligner ! Les patrons peuvent alors accaparer une bonne partie de la rente supplémentaire qu'ils génèrent pour leur société ; celle-ci manque pour investir ou rémunérer les actionnaires. Sans parler des aspects moraux de telles rémunérations.
Que peut faire la puissance publique ? Interdire dans les conseils d'administration la présence de dirigeants d'autres grandes sociétés casserait l'inflation, sans changer le mécanisme. D'où, l'idée d'établir un salaire maximum. Ce dernier peut être national car le "marché" des dirigeants reste étonnamment local : les firmes américaines ne cherchent pas de managers français et, inversement, les sociétés de l'Hexagone sont presque exclusivement dirigées par des nationaux.
Le président américain Barack Obama souhaite un plafond de 500 000 dollars (390 000 euros) de salaire maximum pour les patrons des banques aidées par l'Etat. Outre-Rhin, le débat est ouvert pour le situer à 1 million d'euros dans toute entreprise.
Un article d'une doctorante de la Sorbonne, Fabienne Llense, à paraître en mai dans la Revue économique, étudie l'effet théorique d'un "salaire" maximum, ou plus précisément d'une rémunération totale maximale. Celle-ci, écrit l'auteur, permet à de plus petites firmes d'avoir une chance d'attirer un meilleur manager. Pour les plus grosses, la perte de performance est en partie compensée par le coût moindre des dirigeants. Au total, les actionnaires pourraient y gagner. La simulation sur le cas français montre le réalisme de ce scénario. Voilà un résultat plus gênant pour les patrons qu'une renonciation temporaire aux bonus.
Philippe Askenazy, directeur de recherches CNRS, Ecole d'économie de Paris
Article paru dans l'édition du MONDE ECONOMIE du 17.03.09
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"La taxation confiscatoire des revenus exorbitants est non seulement possible économiquement, mais souhaitable."
La taxation confiscatoire des revenus exorbitants est non seulement possible économiquement, mais souhaitable. En 1932, quand Roosevelt arrive au pouvoir, le taux de l’impôt fédéral sur le revenu applicable aux plus riches était de 25 % aux Etats-Unis. Le nouveau président décide de le porter immédiatement à 63 %, puis 79 % en 1936, 91 % en 1941, niveau qui s’appliqua jusqu’en 1964, avant d’être réduit à 77 %, puis 70 % en 1970. Pendant près de cinquante ans, des années 30 jusqu’en 1980, jamais le taux supérieur ne descendit au-dessous de 70 %, et il fut en moyenne de plus de 80 %.
Rapacité. Cela n’a pas tué le capitalisme et n’a pas empêché l’économie américaine de fonctionner. Pour une raison simple : ces taux ne s’appliquaient qu’à des revenus très, très élevés. En 1941, Roosevelt fixe le seuil du taux de 91 % à 200 000 dollars de l’époque, soit 1 million de dollars d’aujourd’hui (770 000 euros). Or à ces niveaux de revenus, ce ne sont pas les compétences ou le dynamisme que l’on rémunère : ce sont la rapacité, le court-termisme et des prises de risque excessives. Il ne s’agissait donc pas de matraquer n’importe quel cadre supérieur ou entrepreneur sortant du lot, ce qui aurait été dévastateur économiquement. En France, comme dans la plupart des pays développés, le taux supérieur atteint 90 % pendant l’entre-deux-guerres, puis se stabilisa autour de 70 % pendant les Trente Glorieuses - ce qui n’a pas empêché des taux de croissance économique de l’ordre de 4 % à 5 % par an tout au long de cette période.
Puis Reagan et Bush père et fils décidèrent, pour des raisons purement idéologiques, d’abaisser brutalement le taux supérieur à environ 30 %-35 %, soit à peine plus que les niveaux appliqués avant 1932. J’ai acquis la conviction que ce tournant fiscal explique pour une large part l’invraisemblable progression des inégalités observée aux Etats-Unis depuis les années 80, avec pour conséquence un transfert de l’ordre de 15 points de revenu national en direction des 1 % les plus riches et la stagnation du pouvoir d’achat du reste de la population. Les cadres dirigeants des grandes entreprises ont pris le contrôle et se votent à eux-mêmes des revenus exorbitants, sans rapport avec leur productivité. Pour une raison économique simple : pour ces fonctions peu réplicables, les productivités individuelles sont impossibles à mesurer. Dans le secteur financier, ces rémunérations indécentes ont en outre stimulé des comportements insensés en termes de prise de risque et ont clairement contribué à la crise actuelle. Face à une telle dérive, la seule réponse crédible est une taxation accrue des très hauts revenus - solution qui commence à émerger aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et qui finira bien par atteindre la France, si Nicolas Sarkozy parvient à comprendre que le bouclier fiscal est l’erreur de son quinquennat.
Vérité. Le bouclier fiscal peut avoir un sens pour des revenus «normaux», y compris ceux nettement plus élevés que la moyenne (100 000 euros par an, voire d’avantage) - à condition toutefois de pratiquer une vérité fiscale complète, en intégrant la fiscalité indirecte, qui pour les bas revenus représentent plusieurs mois de salaire. Mais appliquer le bouclier fiscal sans aucun plafond n’a aucun sens. Antoine Zacharias, patron de Vinci, a ponctionné 120 millions d’euros de rémunérations à son entreprise. Au nom de quelle folie idéologique devrait-on lui garantir qu’il conservera quoi qu’il arrive 50 % de cette somme ? Même avec un taux d’imposition de 90 %, cela lui laisserait tout de même 10 millions d’euros d’argent de poche…
Libération, 17 mars 2009
http://www.liberation.fr/politiques/0101555838-roosevelt-n-epargnait-pas-les-riches
Rapacité. Cela n’a pas tué le capitalisme et n’a pas empêché l’économie américaine de fonctionner. Pour une raison simple : ces taux ne s’appliquaient qu’à des revenus très, très élevés. En 1941, Roosevelt fixe le seuil du taux de 91 % à 200 000 dollars de l’époque, soit 1 million de dollars d’aujourd’hui (770 000 euros). Or à ces niveaux de revenus, ce ne sont pas les compétences ou le dynamisme que l’on rémunère : ce sont la rapacité, le court-termisme et des prises de risque excessives. Il ne s’agissait donc pas de matraquer n’importe quel cadre supérieur ou entrepreneur sortant du lot, ce qui aurait été dévastateur économiquement. En France, comme dans la plupart des pays développés, le taux supérieur atteint 90 % pendant l’entre-deux-guerres, puis se stabilisa autour de 70 % pendant les Trente Glorieuses - ce qui n’a pas empêché des taux de croissance économique de l’ordre de 4 % à 5 % par an tout au long de cette période.
Puis Reagan et Bush père et fils décidèrent, pour des raisons purement idéologiques, d’abaisser brutalement le taux supérieur à environ 30 %-35 %, soit à peine plus que les niveaux appliqués avant 1932. J’ai acquis la conviction que ce tournant fiscal explique pour une large part l’invraisemblable progression des inégalités observée aux Etats-Unis depuis les années 80, avec pour conséquence un transfert de l’ordre de 15 points de revenu national en direction des 1 % les plus riches et la stagnation du pouvoir d’achat du reste de la population. Les cadres dirigeants des grandes entreprises ont pris le contrôle et se votent à eux-mêmes des revenus exorbitants, sans rapport avec leur productivité. Pour une raison économique simple : pour ces fonctions peu réplicables, les productivités individuelles sont impossibles à mesurer. Dans le secteur financier, ces rémunérations indécentes ont en outre stimulé des comportements insensés en termes de prise de risque et ont clairement contribué à la crise actuelle. Face à une telle dérive, la seule réponse crédible est une taxation accrue des très hauts revenus - solution qui commence à émerger aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et qui finira bien par atteindre la France, si Nicolas Sarkozy parvient à comprendre que le bouclier fiscal est l’erreur de son quinquennat.
Vérité. Le bouclier fiscal peut avoir un sens pour des revenus «normaux», y compris ceux nettement plus élevés que la moyenne (100 000 euros par an, voire d’avantage) - à condition toutefois de pratiquer une vérité fiscale complète, en intégrant la fiscalité indirecte, qui pour les bas revenus représentent plusieurs mois de salaire. Mais appliquer le bouclier fiscal sans aucun plafond n’a aucun sens. Antoine Zacharias, patron de Vinci, a ponctionné 120 millions d’euros de rémunérations à son entreprise. Au nom de quelle folie idéologique devrait-on lui garantir qu’il conservera quoi qu’il arrive 50 % de cette somme ? Même avec un taux d’imposition de 90 %, cela lui laisserait tout de même 10 millions d’euros d’argent de poche…
Libération, 17 mars 2009
http://www.liberation.fr/politiques/0101555838-roosevelt-n-epargnait-pas-les-riches
Après le Smic, Le salaire maximum pour les managers? Le ministre néerlandais des Finances, Wouter Bos, veut imposer «un plafond salarial correct» pour brider la goinfrerie des grands patrons. Il suggère aussi de rendre public, en cas de rachat d'une entreprise, le montant d'éventuels bonus afin d'écarter l'idée que l'opération n'était pas totalement désintéressée. Le PDG du groupe agroalimentaire Numico, Jan Bennink, s'était gratifié l'an dernier d'une bonification de 14 millions d'euros, avant l'OPA de Danone! Une douceur qui a aigri ses salariés et, rendu neurasthéniques les petits porteurs.
Jusqu'ici, le gouvernement de La Haye avait exhorté mollement le gratin des entrepreneurs à modérer leur appétit. Cette fois, Wouter Bos repousse l'argument mité selon lequel on acculerait, en y regardant de trop près, l'élite des managers à s'expatrier car, explique-t-il d'un bel euphémisme, «le lien entre la prestation fournie et le salaire versé est devenu totalement illisible». Façon polie de faire comprendre qu'à force de se payer sur la bête on la rend enragée.
Question à Christine Lagarde, ministre des Finances, et à Laurence Parisot, patronne du Medef: pourquoi ce qui est possible chez nos voisins bataves est inenvisageable en France?
Eric Dior le Samedi 15 Septembre 2007
http://www.marianne2.fr/Un-salaire-maximum-pour-les-patrons,-cest-possible!_a171999.html
Jusqu'ici, le gouvernement de La Haye avait exhorté mollement le gratin des entrepreneurs à modérer leur appétit. Cette fois, Wouter Bos repousse l'argument mité selon lequel on acculerait, en y regardant de trop près, l'élite des managers à s'expatrier car, explique-t-il d'un bel euphémisme, «le lien entre la prestation fournie et le salaire versé est devenu totalement illisible». Façon polie de faire comprendre qu'à force de se payer sur la bête on la rend enragée.
Question à Christine Lagarde, ministre des Finances, et à Laurence Parisot, patronne du Medef: pourquoi ce qui est possible chez nos voisins bataves est inenvisageable en France?
Eric Dior le Samedi 15 Septembre 2007
http://www.marianne2.fr/Un-salaire-maximum-pour-les-patrons,-cest-possible!_a171999.html
« Tant qu'il aura dans ce pays des principes simples, par exemple tout salaire supérieur à 40 000 ou 50 000 F par mois est anormal (...) Il y aura des dérapages de violence qui seront justifiés. »
Ségolène Royal dans l’émission « Les quatre vérités » sur Antenne 2 du 3 avril 1995
http://www.ina.fr/politique/partis-politiques/video/CAB00004360/les-4-verites-invitee-segolene-royal.fr.html
Ségolène Royal dans l’émission « Les quatre vérités » sur Antenne 2 du 3 avril 1995
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Faut-il limiter les salaires et les rémunérations ? Faut-il un salaire maximum comme un salaire minimum ?
C’est dans l’air... On commence à songer qu’il faudrait limiter les grosses rémunérations ; on a d’abord songé à limiter les bonus des patrons de banques, au prétexte que recevant de l’argent public, il leur était malvenu de le transférer directement dans leurs poches. On parle de limiter les rémunérations des traders, vous savez, les boursicoteurs, les spéculateurs, qui travaillent pour faire gagner de l’argent aux banques.
On songe aussi à partager le profit. Dans le capitalisme, le profit est la rémunération du capital, donc, en principe, la rémunération d’une prise de risque lorsqu’on engage de l’argent. Il est donc tout à fait normal de ne pas distribuer de dividendes, si cet argent ne résulte pas d’une prise de risque, mais d’une manne publique.
Mais peut-on donner une partie des profits aux salariés ?
Oui, c’est le principe même de la participation : une partie du capital, et une partie de la rémunération du capital sont versées dans des comptes d’intéressement. Mais la règle des trois tiers dont parlait Nicolas Sarkozy dans son intervention, voudrait que l’on distribuât 30% aux actionnaires, 30% à l’entreprise elle-même dans son autofinancement, et 30% aux salariés. Quelle est la situation actuelle ? Les entreprises du cAC 40 distribuent 40% de leurs profits, soit 37.8 milliards d’euros en 2007. Il faudrait récupérer 10% sur ces 40% et les donner aux salariés.
Et il y a un moyen de le faire ?
Un moyen très simple, taxer les dividendes, et transférer ce produit de l’impôt aux salariés. Si vous taxez à 25% les dividendes, vous récupérez les10 que vous donnez aux salariés. Restent 10 a récupérer sur l’autofinancement, les profits réinvestis, et ça peut se faire de la même manière. Mais autant que le niveau de salaire, c’est l’écart des salaires qui est en cause. Martin Hirsh propose de réduire l’écart des salaires entre les 10% les mieux payés et les 10% les moins payés, en conditionnant les aides publiques à des négociations salariales... Pourquoi pas !
Quelle limite au nivellement des rémunérations ?
Des limites d’efficacité : si tout le monde gagne pareil, plus besoin de faire des études, d’avoir un talent ou un métier particulier. Mais l’inefficacité joue aussi dans l’autre sens : trop d’inégalités, des rémunérations parasitaires et hors de proportion avec le risque ou le talent ont conduit à la crise mondiale.
La phrase du jour : « Les écarts de salaires dans les entreprises sont intolérables et parfois complètement extravagants » Xavier Bertrand, Ministre du Travail.
Chronique du mardi 10 février 2009
http://sites.radiofrance.fr/franceinter/chro/lautreeconomie/index.php?id=76379
On songe aussi à partager le profit. Dans le capitalisme, le profit est la rémunération du capital, donc, en principe, la rémunération d’une prise de risque lorsqu’on engage de l’argent. Il est donc tout à fait normal de ne pas distribuer de dividendes, si cet argent ne résulte pas d’une prise de risque, mais d’une manne publique.
Mais peut-on donner une partie des profits aux salariés ?
Oui, c’est le principe même de la participation : une partie du capital, et une partie de la rémunération du capital sont versées dans des comptes d’intéressement. Mais la règle des trois tiers dont parlait Nicolas Sarkozy dans son intervention, voudrait que l’on distribuât 30% aux actionnaires, 30% à l’entreprise elle-même dans son autofinancement, et 30% aux salariés. Quelle est la situation actuelle ? Les entreprises du cAC 40 distribuent 40% de leurs profits, soit 37.8 milliards d’euros en 2007. Il faudrait récupérer 10% sur ces 40% et les donner aux salariés.
Et il y a un moyen de le faire ?
Un moyen très simple, taxer les dividendes, et transférer ce produit de l’impôt aux salariés. Si vous taxez à 25% les dividendes, vous récupérez les10 que vous donnez aux salariés. Restent 10 a récupérer sur l’autofinancement, les profits réinvestis, et ça peut se faire de la même manière. Mais autant que le niveau de salaire, c’est l’écart des salaires qui est en cause. Martin Hirsh propose de réduire l’écart des salaires entre les 10% les mieux payés et les 10% les moins payés, en conditionnant les aides publiques à des négociations salariales... Pourquoi pas !
Quelle limite au nivellement des rémunérations ?
Des limites d’efficacité : si tout le monde gagne pareil, plus besoin de faire des études, d’avoir un talent ou un métier particulier. Mais l’inefficacité joue aussi dans l’autre sens : trop d’inégalités, des rémunérations parasitaires et hors de proportion avec le risque ou le talent ont conduit à la crise mondiale.
La phrase du jour : « Les écarts de salaires dans les entreprises sont intolérables et parfois complètement extravagants » Xavier Bertrand, Ministre du Travail.
Chronique du mardi 10 février 2009
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Les dirigeants des entreprises aidées par le gouvernement américain ne pourront percevoir plus de 500.000 dollars par an. L'idée d'un plafond des rémunérations n'est pas nouvelle. Mais Barack Obama la pousse particulièrement loin. Le début d'une nouvelle tendance?
Obama a-t-il vraiment instauré un salaire maximum ?
Oui... mais seulement pour un petit nombre d'entreprises. Irrité par les quelques 18,4 milliards de dollars de bonus distribué à Wall Street, le président américain a décidé d'imposer un plafond à la rémunération des dirigeants des grandes banques, dès lors qu'ils demandent à bénéficier de l'aide publique. Parmi les entreprises concernées, Citigroup, Bank of America, AIG, General Motors ou encore Chrysler, comme le rappelle le New York Times.
A combien a été fixé ce plafond ?
A 500.000 dollars, c'est à dire, peu ou prou, le salaire que touche Barack Obama à la Maison Blanche... Les dirigeants ne mourront pas de faim, et on aura du mal à les plaindre, mais pour beaucoup d'entre eux, cela représente tout de même une sacrée diminution du train de vie. Kenneth D. Lewis, le patron d'AIG avait ainsi touché 20 millions de dollars en 2007, dont 5,75 millions en salaires et bonus. Vikram Pandit, patron de Citigroup, avait quant à lui reçu plus de 3 millions.
Cette idée est-elle vraiment nouvelle ?
Non, pas vraiment. Elle ressurgit à chaque scandale de parachutes dorés ou de retraites chapeau. L'idée de limiter les rémunérations dirigeants des entreprises aidées par le gouvernement avait même été adoptée par l'administration Bush, qui leur avait, entre autres, interdit les parachutes dorés. Mais Barack Obama, encouragé par la sénateur démocrate du Missouri, Claire McCaskill, pousse la logique à un niveau jamais atteint aux Etats-Unis. Et ferait presque plaisir à un homme qui, au début du XXe siècle, estimait que la rémunération d'un PDG ne devait pas excéder trente fois celle de son salarié moyen... Un certain John Pierpoint Morgan, qui fonda l'entreprise du même nom, star de Wall Street. Les temps changent...
Le salaire maximum pourrait-il être généralisé à toutes les entreprises ?
A priori, rien n'interdit à un gouvernement de décider d'instaurer, dans la loi, le principe d'un salaire maximum universel, comme il existe un salaire minimum. Certains économistes, en France, défendent ce principe. Parmi eux, Jacques Généreux ou Olivier Ferrand, proches du parti socialiste. Mais dans les faits, aucun pays n'a mis en place une telle mesure. Les gouvernements ont d'autres armes à leur disposition. L'option fiscale par exemple, qui consiste à appliquer, au-delà d'un certain seuil de revenus, un taux d'imposition spécifique, particulièrement élevé. C'est ce qui a été décidé aux Pays-Bas. Depuis le 1er janvier, les patrons de toutes les entreprises cotées à Amsterdam doivent payer 30% d'impôt de plus sur leurs primes, s'ils dépassent un salaire annuel de 500.000 euros.
Un salaire maximum ne risque-t-il pas de pénaliser les pays qui l'adopteraient ?
Les dirigeants d'entreprise sont évidemment défavorables à l'idée de se voir imposer une limite à leur rémunération. Pour eux, un gouvernement qui instaurerait un salaire maximum à ses entreprises leur porterait préjudice... Argument : les patrons et les cadres dirigeants préféreraient aller exercer leurs talents ailleurs, là où un tel plafond n'existe pas. En réalité, les marchés des grands dirigeants restent avant tout nationaux, comme le rappelle L'Expansion. Le Germano-canadien Chris Viehbacher chez Sanofi-Aventis, le néerlandais Ben Verwaayen chez Alcatel, sont encore des exceptions. Toutefois, confrontés aux excès de certains d'entre eux et au mécontentement social, les patrons savent qu'ils ne peuvent rester inactifs. Et pour montrer leur bonne volonté, ils sont friands de codes éthiques pour limiter leurs émoluements. Le Medef en a édicté un en octobre 2008. La quasi totalité des entreprises du CAC 40 affirment qu'elles vont y souscrire. Rendez-vous dans quelques mois pour le vérifier...
Thomas Bronnec, L'Express.fr - 04/02/2009
Oui... mais seulement pour un petit nombre d'entreprises. Irrité par les quelques 18,4 milliards de dollars de bonus distribué à Wall Street, le président américain a décidé d'imposer un plafond à la rémunération des dirigeants des grandes banques, dès lors qu'ils demandent à bénéficier de l'aide publique. Parmi les entreprises concernées, Citigroup, Bank of America, AIG, General Motors ou encore Chrysler, comme le rappelle le New York Times.
A combien a été fixé ce plafond ?
A 500.000 dollars, c'est à dire, peu ou prou, le salaire que touche Barack Obama à la Maison Blanche... Les dirigeants ne mourront pas de faim, et on aura du mal à les plaindre, mais pour beaucoup d'entre eux, cela représente tout de même une sacrée diminution du train de vie. Kenneth D. Lewis, le patron d'AIG avait ainsi touché 20 millions de dollars en 2007, dont 5,75 millions en salaires et bonus. Vikram Pandit, patron de Citigroup, avait quant à lui reçu plus de 3 millions.
Cette idée est-elle vraiment nouvelle ?
Non, pas vraiment. Elle ressurgit à chaque scandale de parachutes dorés ou de retraites chapeau. L'idée de limiter les rémunérations dirigeants des entreprises aidées par le gouvernement avait même été adoptée par l'administration Bush, qui leur avait, entre autres, interdit les parachutes dorés. Mais Barack Obama, encouragé par la sénateur démocrate du Missouri, Claire McCaskill, pousse la logique à un niveau jamais atteint aux Etats-Unis. Et ferait presque plaisir à un homme qui, au début du XXe siècle, estimait que la rémunération d'un PDG ne devait pas excéder trente fois celle de son salarié moyen... Un certain John Pierpoint Morgan, qui fonda l'entreprise du même nom, star de Wall Street. Les temps changent...
Le salaire maximum pourrait-il être généralisé à toutes les entreprises ?
A priori, rien n'interdit à un gouvernement de décider d'instaurer, dans la loi, le principe d'un salaire maximum universel, comme il existe un salaire minimum. Certains économistes, en France, défendent ce principe. Parmi eux, Jacques Généreux ou Olivier Ferrand, proches du parti socialiste. Mais dans les faits, aucun pays n'a mis en place une telle mesure. Les gouvernements ont d'autres armes à leur disposition. L'option fiscale par exemple, qui consiste à appliquer, au-delà d'un certain seuil de revenus, un taux d'imposition spécifique, particulièrement élevé. C'est ce qui a été décidé aux Pays-Bas. Depuis le 1er janvier, les patrons de toutes les entreprises cotées à Amsterdam doivent payer 30% d'impôt de plus sur leurs primes, s'ils dépassent un salaire annuel de 500.000 euros.
Un salaire maximum ne risque-t-il pas de pénaliser les pays qui l'adopteraient ?
Les dirigeants d'entreprise sont évidemment défavorables à l'idée de se voir imposer une limite à leur rémunération. Pour eux, un gouvernement qui instaurerait un salaire maximum à ses entreprises leur porterait préjudice... Argument : les patrons et les cadres dirigeants préféreraient aller exercer leurs talents ailleurs, là où un tel plafond n'existe pas. En réalité, les marchés des grands dirigeants restent avant tout nationaux, comme le rappelle L'Expansion. Le Germano-canadien Chris Viehbacher chez Sanofi-Aventis, le néerlandais Ben Verwaayen chez Alcatel, sont encore des exceptions. Toutefois, confrontés aux excès de certains d'entre eux et au mécontentement social, les patrons savent qu'ils ne peuvent rester inactifs. Et pour montrer leur bonne volonté, ils sont friands de codes éthiques pour limiter leurs émoluements. Le Medef en a édicté un en octobre 2008. La quasi totalité des entreprises du CAC 40 affirment qu'elles vont y souscrire. Rendez-vous dans quelques mois pour le vérifier...
Thomas Bronnec, L'Express.fr - 04/02/2009
Ce n’est pas un gag. Le Président des Etats-Unis vient de décider qu’il fallait fixer un plafond de revenu pour contribuer à sortir de la crise. Cela se passe en… 1942, et le Président est Franklin Roosevelt. Il s’ensuivra une période de trente-cinq ans au cours desquelles ce pays connaîtra des inégalités réduites.
En 1942, Roosevelt déclare : « Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25 000 dollars par an ». C’est l’équivalent de 315 000 dollars actuels, soit 8,5 fois le revenu disponible médian par personne (37 000 dollars), lequel vaut environ trois fois les plus bas salaires à temps plein. On aurait donc, si l’on appliquait aujourd’hui la norme de Roosevelt, un éventail de revenus de l’ordre de 1 à 25, hors personnes vivant sur la base de petits boulots ou d’aide sociale. C’est un écart encore énorme, mais c’est peu au regard de l’éventail de 1 à plusieurs milliers qui a cours actuellement.
Roosevelt n’a toutefois pas pris une décision du type « au-dessus de 25 000 dollars, je prends tout ». Il a mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-45. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels a été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusque 1981.
C’est ensuite la plongée néolibérale, l’idéologie des «baisses-d’impôts-pour-la-croissance-et-l’emploi-et-contre-le-trop-d’état», avec des taux maximaux de 50 %, puis entre 28 % et 39 % depuis 1987 (actuellement 35 %). Voir Wikipédia
Roosevelt n’a toutefois pas pris une décision du type « au-dessus de 25 000 dollars, je prends tout ». Il a mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-45. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels a été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusque 1981.
C’est ensuite la plongée néolibérale, l’idéologie des «baisses-d’impôts-pour-la-croissance-et-l’emploi-et-contre-le-trop-d’état», avec des taux maximaux de 50 %, puis entre 28 % et 39 % depuis 1987 (actuellement 35 %). Voir Wikipédia
Même si d’autres facteurs interviennent (la guerre ampute les très hauts revenus à partir de 1940), le résultat de cette politique fiscale se voit sur le graphique ci-dessus, que j’ai déjà commenté dans mon blog du 29 avril, sans avoir alors la possibilité technique de vous reproduire le graphique. Il repose sur les données d’Emmanuel Saez. Il représente la part du revenu total des ménages revenant aux 10 % les plus riches entre 1917 et 2006. Cette part diminue très fortement pendant la guerre (elle passe de 45 % à 32 %), et, ce qui est plus important, elle se maintient pendant 35 ans à un niveau relativement bas. Depuis 1981, la spectaculaire remontée des inégalités s’explique largement par les baisses d’impôt dont bénéficient essentiellement les plus riches, et elle trouve une seconde explication dans les rémunérations brutes de plus en plus extravagantes des dirigeants et hauts cadres des grandes entreprises du capitalisme actionnarial. Voir la courbe ci-dessus
Cette courte histoire montre en tout cas que :
- l’idée d’un revenu maximum n’est pas une utopie ;
- elle peut apparaître non seulement comme une exigence morale, mais aussi comme l’une des voies de sortie des crises majeures.
Il y a trois grandes façons de réduire les inégalités de revenu. La première, en bas de l’échelle, consiste à défendre des salaires décents, et des minima sociaux qui fassent (au moins) sortir les gens de la pauvreté. La seconde repose sur une fiscalité très progressive. Et la troisième porte sur les « revenus primaires » avant impôt. Actuellement, elle reviendrait à s’en prendre d’abord aux revenus financiers, boursiers, dividendes et stock-options, et aux « salaires » indécents.
Mais tout cela a peu de chances de se produire si la société civile ne met pas les pieds dans le plat mal réparti de la richesse, entre autres plats socialement et écologiquement toxiques que le néolibéralisme a produits depuis les années 1980.
Publié le 29 novembre 2008
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2008/11/29/les-etats-unis-instaurent-un-revenu-maximum-pour-sortir-de-la-crise/
Cette courte histoire montre en tout cas que :
- l’idée d’un revenu maximum n’est pas une utopie ;
- elle peut apparaître non seulement comme une exigence morale, mais aussi comme l’une des voies de sortie des crises majeures.
Il y a trois grandes façons de réduire les inégalités de revenu. La première, en bas de l’échelle, consiste à défendre des salaires décents, et des minima sociaux qui fassent (au moins) sortir les gens de la pauvreté. La seconde repose sur une fiscalité très progressive. Et la troisième porte sur les « revenus primaires » avant impôt. Actuellement, elle reviendrait à s’en prendre d’abord aux revenus financiers, boursiers, dividendes et stock-options, et aux « salaires » indécents.
Mais tout cela a peu de chances de se produire si la société civile ne met pas les pieds dans le plat mal réparti de la richesse, entre autres plats socialement et écologiquement toxiques que le néolibéralisme a produits depuis les années 1980.
Publié le 29 novembre 2008
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2008/11/29/les-etats-unis-instaurent-un-revenu-maximum-pour-sortir-de-la-crise/
Les « anciens » se souviennent sans doute de cette formule de Georges Marchais en 1981 devant son interrogateur attitré Jean-Pierre Elkabbach : « Au-dessus de 40 000 Francs, je prends tout ! ». À l’époque, les bas salaires mensuels à temps plein étaient d’environ 3 000 Francs. Le Secrétaire Général du Parti Communiste se positionnait ainsi sur la question, déjà traitée par Platon, d’un éventail acceptable des revenus.
Cette question est en réalité rarement posée. Les politiques la trouvent électoralement suicidaire, et certaines personnes, victimes du fatalisme, pensent qu’il est inutile de la soulever : des inégalités gigantesques, il y en a toujours eu et il y en aura toujours !
Pourtant, les enquêtes d’opinion indiquent régulièrement qu’environ 80 % des Français estiment que les inégalités sont trop fortes dans notre pays. Plusieurs raisons devraient conduire à relancer un débat public sur les écarts acceptables. D’une part, la crise actuelle, qui est notamment une crise d’inégalités excessives (voir mes textes précédents). D’autre part, la crise écologique en cours et à venir, qui nous contraindra à mettre en relation les inégalités économiques et celles d’empreinte écologique.
Comment faire ? Selon certains, avancer un chiffre d’écart maximal, ne serait-ce que comme perspective, relèverait de l’arbitraire. Nous connaissons bien cette accusation dans le domaine de la recherche de nouveaux indicateurs de bien-être. Elle ne tient pas debout, parce qu’elle confond « arbitraire » et « conventionnel », ce second terme faisant référence à des délibérations argumentées, initialement contradictoires, en vue de la recherche d’une vision partagée ou au moins d’un compromis assez solide, bien que révisable par la suite. Tel est le cas pour un éventail acceptable des revenus : il faut en débattre, se fixer des objectifs à long terme et des étapes, considérer les obstacles, l’échelle géographique des revendications (qui pourrait être l’Europe), les alliances, les dispositifs fiscaux ou autres pour y parvenir, etc.
Voici quelques pièces à verser au dossier. Vous en trouverez d’autres, parfois les mêmes, en vous reportant à la proposition de Patrick Viveret d’un nouveau RMA, revenu maximum acceptable, indexé sur les minima sociaux.
LES ECARTS ACTUELS : DE 1 A BEAUCOUP PLUS DE 1000 !
Premier chiffre : le revenu moyen après impôts des 10 % les plus riches est en France environ neuf fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. Les pays nordiques font nettement mieux, avec un écart de 1 à 6, et les États-Unis font bien pire (1 à 16).
Mais pour évaluer l’ampleur des écarts existants, il faut tenir compte des très hauts revenus, mais aussi des plus bas. Selon les données de Thomas Piketty (dont les séries historiques vont jusqu’en 1998), le revenu moyen des 0,01 % les plus riches était de 108 SMIC à temps plein en 1998. Et depuis 1998 les écarts se sont encore creusés (voir mon premier texte sur ce blog, en septembre 2007). Par ailleurs, ces chiffres ne disent rien des revenus des grands patrons, ni des montants extravagants des dividendes perçus par les plus gros détenteurs d’actions (qui sont souvent eux-mêmes de grands patrons). Les derniers chiffres connus sont ceux de 2007, année record. Selon le magazine Capital de novembre 2008, les rémunérations moyennes, stock-options comprises, des 50 premiers patrons, représentait 310 fois le SMIC. Mais en tête de ce palmarès, on atteint ou l’on dépasse 1000 SMIC, soit plus de 2000 RMI. Et si l’on y ajoute les dividendes perçus, on crève le plafond avec plus de 20 000 SMIC (plus de 40 000 RMI) pour chacun des trois plus riches !
Passons maintenant de ces écarts actuels, qui donnent le tournis, aux inégalités jugées acceptables.
PLATON ET LES FRANÇAIS
Au 5ème siècle avant notre ère, Platon estimait que « le législateur doit établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté ». Il proposait un rapport de 1 à 4.
Les jugements des Français sur les salaires « justes » ne sont pas loin de cette norme. Dans une enquête menée en 1998 par Thomas Piketty on demandait aux personnes interrogées quels « devraient être » selon eux les revenus mensuels respectifs d’un cadre supérieur d’une grande entreprise et d’une caissière de supermarché. Les réponses moyennes étaient respectivement de 27 300 Francs et 7 477 Francs. Soit un rapport de 1 à 3,6 (alors que l’écart réel des salaires moyens de ces deux catégories était au moins de 1 à 9). Contre toute attente, cet écart variait assez peu selon le revenu du répondant. Il n’existe donc pas de « fracture morale » en France sur cette question.
Dans une autre enquête menée en 2004 par l’équipe du sociologue François Dubet, le montant au-dessus duquel les salaires mensuels étaient jugés « indécents » était de 6 000 euros selon les ouvriers interrogés, et de 10 000 euros selon les cadres et chefs d’entreprises. Ce qui revient à 6,6 Smic (de 2004) selon les ouvriers, et 11 Smic selon les chefs d’entreprises. C’est plus que l’écart recommandé par Platon, et plus proche de l’idée de Georges Marchais.
LES GRANDS PATRONS : FORD, J. P. MORGAN ET CALVET
Aux États-Unis, les rémunérations des PDG des grands groupes sont passées de 20 fois le salaire ouvrier moyen en 1980 à 85 fois en 1990 et 531 fois en 2000. Une échelle de l’ordre de 1 à 20 (par rapport au salaire ouvrier moyen) a donc bien existé il n’y a pas si longtemps dans ce pays. Une longue tradition avait conduit à cette (très relative) modération, et même des grands patrons y avaient contribué par leurs exhortations morales autant qu’économiques. Ainsi, le banquier John P. Morgan (1837-1913) estimait qu’un PDG ne devait pas percevoir plus de vingt fois la rémunération moyenne de ses salariés. Cela fait un éventail du même ordre que celui proposé plus tard par le dangereux gauchiste Henri Ford (un écart de 1 à 40 entre le bas et le haut de l’échelle, mais je n’ai pas la source de ce chiffre).
La France a suivi avec retard l’explosion des inégalités américaines, mais nos patrons savent dans ce domaine faire du rattrapage accéléré. La publication en 1989 par Le Canard Enchaîné des émoluments de Jacques Calvet, PDG de Peugeot, avait provoqué un tollé : ce patron, avocat de la modération salariale dans son entreprise, s’était octroyé une augmentation de salaires de 45 % en deux ans. Or quel était, en 1988, le montant de son salaire généreusement majoré ? 2,2 millions de Francs, soit « seulement » 35 fois le SMIC. Quatorze ans plus tard, en 2002, le patron du groupe Peugeot Citroën, Jean-Martin Folz, a touché près de 2 millions d’euros, soit 166 fois le SMIC. Ce chiffre n’inclut pas les stock-options, qui lui permettent probablement de doubler la mise.
Ces revenus énormes, dont même les médias de masse finissent par parler (occasionnellement), en aspirent d’autres vers le haut, par mimétisme. On insiste souvent sur le rôle des pouvoirs publics pour juguler l’inflation. Ils seraient bien inspirés de mettre en œuvre la désinflation de la spirale des hauts revenus, des stocks-options et des dividendes distribués. À côté des seuils de pauvreté (fractions du revenu médian), il faudrait définir des seuils statistiques de richesse (multiples du revenu médian), et agir politiquement pour transformer ces derniers seuils en « plafonds » à ne pas dépasser. On s’apercevrait alors qu’en s’en prenant à l’excès de richesse, on aurait à la fois de quoi éradiquer la pauvreté et financer la protection sociale et les grands investissements de la nécessaire révolution écologique. Avec ou sans croissance.
17 Novembre 2008
(Ce texte reprend en les adaptant et actualisant certains passages de mon essai « En finir avec les inégalités », éditions Mango, 2006. On y trouve les références de la plupart des chiffres cités. Voir aussi le blog du 20 décembre 2007 de l’ami Gilles Raveaud)
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2008/11/17/l%E2%80%99eventail-acceptable-des-revenus-platon-georges-marchais-etc/
Pourtant, les enquêtes d’opinion indiquent régulièrement qu’environ 80 % des Français estiment que les inégalités sont trop fortes dans notre pays. Plusieurs raisons devraient conduire à relancer un débat public sur les écarts acceptables. D’une part, la crise actuelle, qui est notamment une crise d’inégalités excessives (voir mes textes précédents). D’autre part, la crise écologique en cours et à venir, qui nous contraindra à mettre en relation les inégalités économiques et celles d’empreinte écologique.
Comment faire ? Selon certains, avancer un chiffre d’écart maximal, ne serait-ce que comme perspective, relèverait de l’arbitraire. Nous connaissons bien cette accusation dans le domaine de la recherche de nouveaux indicateurs de bien-être. Elle ne tient pas debout, parce qu’elle confond « arbitraire » et « conventionnel », ce second terme faisant référence à des délibérations argumentées, initialement contradictoires, en vue de la recherche d’une vision partagée ou au moins d’un compromis assez solide, bien que révisable par la suite. Tel est le cas pour un éventail acceptable des revenus : il faut en débattre, se fixer des objectifs à long terme et des étapes, considérer les obstacles, l’échelle géographique des revendications (qui pourrait être l’Europe), les alliances, les dispositifs fiscaux ou autres pour y parvenir, etc.
Voici quelques pièces à verser au dossier. Vous en trouverez d’autres, parfois les mêmes, en vous reportant à la proposition de Patrick Viveret d’un nouveau RMA, revenu maximum acceptable, indexé sur les minima sociaux.
LES ECARTS ACTUELS : DE 1 A BEAUCOUP PLUS DE 1000 !
Premier chiffre : le revenu moyen après impôts des 10 % les plus riches est en France environ neuf fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. Les pays nordiques font nettement mieux, avec un écart de 1 à 6, et les États-Unis font bien pire (1 à 16).
Mais pour évaluer l’ampleur des écarts existants, il faut tenir compte des très hauts revenus, mais aussi des plus bas. Selon les données de Thomas Piketty (dont les séries historiques vont jusqu’en 1998), le revenu moyen des 0,01 % les plus riches était de 108 SMIC à temps plein en 1998. Et depuis 1998 les écarts se sont encore creusés (voir mon premier texte sur ce blog, en septembre 2007). Par ailleurs, ces chiffres ne disent rien des revenus des grands patrons, ni des montants extravagants des dividendes perçus par les plus gros détenteurs d’actions (qui sont souvent eux-mêmes de grands patrons). Les derniers chiffres connus sont ceux de 2007, année record. Selon le magazine Capital de novembre 2008, les rémunérations moyennes, stock-options comprises, des 50 premiers patrons, représentait 310 fois le SMIC. Mais en tête de ce palmarès, on atteint ou l’on dépasse 1000 SMIC, soit plus de 2000 RMI. Et si l’on y ajoute les dividendes perçus, on crève le plafond avec plus de 20 000 SMIC (plus de 40 000 RMI) pour chacun des trois plus riches !
Passons maintenant de ces écarts actuels, qui donnent le tournis, aux inégalités jugées acceptables.
PLATON ET LES FRANÇAIS
Au 5ème siècle avant notre ère, Platon estimait que « le législateur doit établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté ». Il proposait un rapport de 1 à 4.
Les jugements des Français sur les salaires « justes » ne sont pas loin de cette norme. Dans une enquête menée en 1998 par Thomas Piketty on demandait aux personnes interrogées quels « devraient être » selon eux les revenus mensuels respectifs d’un cadre supérieur d’une grande entreprise et d’une caissière de supermarché. Les réponses moyennes étaient respectivement de 27 300 Francs et 7 477 Francs. Soit un rapport de 1 à 3,6 (alors que l’écart réel des salaires moyens de ces deux catégories était au moins de 1 à 9). Contre toute attente, cet écart variait assez peu selon le revenu du répondant. Il n’existe donc pas de « fracture morale » en France sur cette question.
Dans une autre enquête menée en 2004 par l’équipe du sociologue François Dubet, le montant au-dessus duquel les salaires mensuels étaient jugés « indécents » était de 6 000 euros selon les ouvriers interrogés, et de 10 000 euros selon les cadres et chefs d’entreprises. Ce qui revient à 6,6 Smic (de 2004) selon les ouvriers, et 11 Smic selon les chefs d’entreprises. C’est plus que l’écart recommandé par Platon, et plus proche de l’idée de Georges Marchais.
LES GRANDS PATRONS : FORD, J. P. MORGAN ET CALVET
Aux États-Unis, les rémunérations des PDG des grands groupes sont passées de 20 fois le salaire ouvrier moyen en 1980 à 85 fois en 1990 et 531 fois en 2000. Une échelle de l’ordre de 1 à 20 (par rapport au salaire ouvrier moyen) a donc bien existé il n’y a pas si longtemps dans ce pays. Une longue tradition avait conduit à cette (très relative) modération, et même des grands patrons y avaient contribué par leurs exhortations morales autant qu’économiques. Ainsi, le banquier John P. Morgan (1837-1913) estimait qu’un PDG ne devait pas percevoir plus de vingt fois la rémunération moyenne de ses salariés. Cela fait un éventail du même ordre que celui proposé plus tard par le dangereux gauchiste Henri Ford (un écart de 1 à 40 entre le bas et le haut de l’échelle, mais je n’ai pas la source de ce chiffre).
La France a suivi avec retard l’explosion des inégalités américaines, mais nos patrons savent dans ce domaine faire du rattrapage accéléré. La publication en 1989 par Le Canard Enchaîné des émoluments de Jacques Calvet, PDG de Peugeot, avait provoqué un tollé : ce patron, avocat de la modération salariale dans son entreprise, s’était octroyé une augmentation de salaires de 45 % en deux ans. Or quel était, en 1988, le montant de son salaire généreusement majoré ? 2,2 millions de Francs, soit « seulement » 35 fois le SMIC. Quatorze ans plus tard, en 2002, le patron du groupe Peugeot Citroën, Jean-Martin Folz, a touché près de 2 millions d’euros, soit 166 fois le SMIC. Ce chiffre n’inclut pas les stock-options, qui lui permettent probablement de doubler la mise.
Ces revenus énormes, dont même les médias de masse finissent par parler (occasionnellement), en aspirent d’autres vers le haut, par mimétisme. On insiste souvent sur le rôle des pouvoirs publics pour juguler l’inflation. Ils seraient bien inspirés de mettre en œuvre la désinflation de la spirale des hauts revenus, des stocks-options et des dividendes distribués. À côté des seuils de pauvreté (fractions du revenu médian), il faudrait définir des seuils statistiques de richesse (multiples du revenu médian), et agir politiquement pour transformer ces derniers seuils en « plafonds » à ne pas dépasser. On s’apercevrait alors qu’en s’en prenant à l’excès de richesse, on aurait à la fois de quoi éradiquer la pauvreté et financer la protection sociale et les grands investissements de la nécessaire révolution écologique. Avec ou sans croissance.
17 Novembre 2008
(Ce texte reprend en les adaptant et actualisant certains passages de mon essai « En finir avec les inégalités », éditions Mango, 2006. On y trouve les références de la plupart des chiffres cités. Voir aussi le blog du 20 décembre 2007 de l’ami Gilles Raveaud)
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2008/11/17/l%E2%80%99eventail-acceptable-des-revenus-platon-georges-marchais-etc/
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Si un Etat veut éviter (...) la désintégration civile (...), il ne faut pas permettre à la pauvreté et à la richesse extrêmes de se développer dans aucune partie du corps civil, parce que cela conduit au désastre. C'est pourquoi le législateur doit établir maintenant quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté.
Platon, Les Lois, L.744d
Platon, Les Lois, L.744d
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Économiste et professeur à Sciences Po Paris, Jacques Généreux livre ses espoirs et ses craintes concernant la réunion du G20, et propose des pistes pour sortir de la crise financière.
Les vingt pays les plus riches de la planète se regroupent samedi 15 novembre pour faire face à la crise financière. Qu’attendez-vous de cette réunion ?
Jacques Généreux : Je n’en attends pas grand-chose. Les dirigeants vont, sans aucun doute, programmer un nouveau Bretton Woods pour réorganiser les finances, les banques et les crédits. Ils vont chercher des moyens de prévenir les crises. Mais ça ne réglera rien. La régulation des banques n’empêchera jamais les crises financières. Il y aura toujours des mouvements spéculatifs et des bulles spéculatives. Quand il y a une bulle spéculative, même s’il y a eu une supervision préalable, elle éclate un jour ou l’autre. Si on ne rend pas l’argent aux travailleurs et aux investisseurs qui œuvrent au sein de l’économie réelle, si le robinet des capitaux coule encore à flots, ça ne changera rien, si ce n’est qu’on verra venir la catastrophe. Si les dirigeants du G20 ne dénoncent pas la responsabilité de la libre circulation des capitaux, les excès du libre-échange et le développement global d’une économie qui n’est plus en faveur des peuples et du travail mais des actifs financiers, ce sera un G20 pour rien. Cependant, je mûris un espoir. Le 15 novembre, ce ne sera pas un G7 ou un G8, ce sera un G20, où des pays comme l’Afrique du Sud, la Chine et l’Argentine siégeront. Les populations de ces pays rencontrent d’autres besoins que les nôtres. S’il y a un rééquilibrage des rapports de force, on verra peut-être émerger d’autres solutions. Néanmoins, j’en doute fortement, car même les élites qui gouvernent ces nouveaux pays industrialisés profitent du système de développement orienté vers le marché international.
D’après vous, comment peut-on sortir de la crise financière actuelle ?
S’il n’y a pas une réaction à la hauteur des gouvernements pour éviter les faillites des entreprises, les licenciements, la baisse des salaires, le processus cumulatif de récession, nous risquons d’entrer dans une dépression très dure. Dans l’immédiat, je pense qu’il faut préserver les salariés et les ménages des conséquences de la crise. Il suffit de garantir et d’assurer le maintien des familles dans leurs logements avec des conditions d’étalement de leurs dettes, assorties d’une garantie publique sur leur règlement. En matière d’emploi, il faut interdire immédiatement les nombreux licenciements à titre préventif des entreprises. C’est également le moment de penser à bloquer les loyers. Notre système économique est fragile. Les crises financières et les ralentissements économiques sont fréquents (1929, 1979, 2003). Quelles sont les failles ?
Les racines profondes des crises résultent de la logique même du système capitaliste, en particulier de la manière dont il fonctionne depuis une trentaine d’années. À la charnière des années 1970-1980, avec le renversement des rapports politiques au profit de la droite libérale et conservatrice, il y a eu un bouleversement du mode de fonctionnement du capitalisme. On a donné le pouvoir aux détenteurs du capital et réorienté le but des entreprises vers la maximalisation des profits. La mondialisation a eu pour effet une stagnation, voire une baisse, des salaires réels pour les ouvriers en bas de l’échelle alors que, dans le même temps, on observait une explosion des plus hauts revenus des dirigeants. Notre système est voué à soutenir les détenteurs du capital. Il ne peut être viable à long terme puisqu’il réprime son principal pilier : la masse. En proposant des artifices temporaires comme le crédit, le capitalisme anesthésie la résistance des travailleurs. Va-t-on pouvoir écraser la masse encore longtemps ? Il semble impératif de rétablir un capitalisme au service des peuples, si l’on ne veut pas essuyer une guerre économique.
Comment le mettre en place ?
D’abord, il faut mettre l’accent sur les salaires : instaurer un salaire minimum et un salaire maximum pour réduire les inégalités. Nous n’avons pas besoin d’avoir des patrons qui gagnent 500 fois plus que leurs employés. Ensuite, il faut supprimer toutes les formes de parachute doré, qui n’ont aucune raison d’être. Enfin, les entreprises doivent faire leur travail, c’est-à-dire adopter des stratégies industrielles d’efficacité à long terme et non pas des stratégies débiles de maximalisation de la valeur de l’actionnariat à court terme. Pour fonctionner, ces mesures structurelles doivent être accompagnées de règles internationales. Sinon, toutes les entreprises fuiront notre pays pour s’installer dans d’autres où il y aura moins d’impôts, de contraintes et une main-d’œuvre moins chère. On arrive donc à une question fondamentale : le libre-échange. Pour les pays européens, l’idéal serait de ne pas remettre en cause le libre-échange entre eux mais de faire progresser très vite l’harmonisation fiscale et sociale mondiale afin d’éviter cette pression continue sur les salaires, engendrée par la compétition entre les pays du monde, où parfois les rémunérations sont trente fois inférieures au revenu moyen européen. Cela ne signifiera pas la fermeture des frontières de l’Union européenne. Au contraire, les échanges continueront, mais avec un tarif extérieur commun européen. Taxer les produits chinois ou indiens limiterait une concurrence déloyale et établirait une vérité des prix. En imposant un degré de protection, ce n’est pas un mauvais coup porté aux pays émergents, c’est un moyen de les inciter à se développer en interne, afin d’améliorer le niveau de vie de leur propre population.
Manon Loubet, Politis.fr
mercredi 12 novembre 2008
http://www.politis.fr/article4843.html
Jacques Généreux : Je n’en attends pas grand-chose. Les dirigeants vont, sans aucun doute, programmer un nouveau Bretton Woods pour réorganiser les finances, les banques et les crédits. Ils vont chercher des moyens de prévenir les crises. Mais ça ne réglera rien. La régulation des banques n’empêchera jamais les crises financières. Il y aura toujours des mouvements spéculatifs et des bulles spéculatives. Quand il y a une bulle spéculative, même s’il y a eu une supervision préalable, elle éclate un jour ou l’autre. Si on ne rend pas l’argent aux travailleurs et aux investisseurs qui œuvrent au sein de l’économie réelle, si le robinet des capitaux coule encore à flots, ça ne changera rien, si ce n’est qu’on verra venir la catastrophe. Si les dirigeants du G20 ne dénoncent pas la responsabilité de la libre circulation des capitaux, les excès du libre-échange et le développement global d’une économie qui n’est plus en faveur des peuples et du travail mais des actifs financiers, ce sera un G20 pour rien. Cependant, je mûris un espoir. Le 15 novembre, ce ne sera pas un G7 ou un G8, ce sera un G20, où des pays comme l’Afrique du Sud, la Chine et l’Argentine siégeront. Les populations de ces pays rencontrent d’autres besoins que les nôtres. S’il y a un rééquilibrage des rapports de force, on verra peut-être émerger d’autres solutions. Néanmoins, j’en doute fortement, car même les élites qui gouvernent ces nouveaux pays industrialisés profitent du système de développement orienté vers le marché international.
D’après vous, comment peut-on sortir de la crise financière actuelle ?
S’il n’y a pas une réaction à la hauteur des gouvernements pour éviter les faillites des entreprises, les licenciements, la baisse des salaires, le processus cumulatif de récession, nous risquons d’entrer dans une dépression très dure. Dans l’immédiat, je pense qu’il faut préserver les salariés et les ménages des conséquences de la crise. Il suffit de garantir et d’assurer le maintien des familles dans leurs logements avec des conditions d’étalement de leurs dettes, assorties d’une garantie publique sur leur règlement. En matière d’emploi, il faut interdire immédiatement les nombreux licenciements à titre préventif des entreprises. C’est également le moment de penser à bloquer les loyers. Notre système économique est fragile. Les crises financières et les ralentissements économiques sont fréquents (1929, 1979, 2003). Quelles sont les failles ?
Les racines profondes des crises résultent de la logique même du système capitaliste, en particulier de la manière dont il fonctionne depuis une trentaine d’années. À la charnière des années 1970-1980, avec le renversement des rapports politiques au profit de la droite libérale et conservatrice, il y a eu un bouleversement du mode de fonctionnement du capitalisme. On a donné le pouvoir aux détenteurs du capital et réorienté le but des entreprises vers la maximalisation des profits. La mondialisation a eu pour effet une stagnation, voire une baisse, des salaires réels pour les ouvriers en bas de l’échelle alors que, dans le même temps, on observait une explosion des plus hauts revenus des dirigeants. Notre système est voué à soutenir les détenteurs du capital. Il ne peut être viable à long terme puisqu’il réprime son principal pilier : la masse. En proposant des artifices temporaires comme le crédit, le capitalisme anesthésie la résistance des travailleurs. Va-t-on pouvoir écraser la masse encore longtemps ? Il semble impératif de rétablir un capitalisme au service des peuples, si l’on ne veut pas essuyer une guerre économique.
Comment le mettre en place ?
D’abord, il faut mettre l’accent sur les salaires : instaurer un salaire minimum et un salaire maximum pour réduire les inégalités. Nous n’avons pas besoin d’avoir des patrons qui gagnent 500 fois plus que leurs employés. Ensuite, il faut supprimer toutes les formes de parachute doré, qui n’ont aucune raison d’être. Enfin, les entreprises doivent faire leur travail, c’est-à-dire adopter des stratégies industrielles d’efficacité à long terme et non pas des stratégies débiles de maximalisation de la valeur de l’actionnariat à court terme. Pour fonctionner, ces mesures structurelles doivent être accompagnées de règles internationales. Sinon, toutes les entreprises fuiront notre pays pour s’installer dans d’autres où il y aura moins d’impôts, de contraintes et une main-d’œuvre moins chère. On arrive donc à une question fondamentale : le libre-échange. Pour les pays européens, l’idéal serait de ne pas remettre en cause le libre-échange entre eux mais de faire progresser très vite l’harmonisation fiscale et sociale mondiale afin d’éviter cette pression continue sur les salaires, engendrée par la compétition entre les pays du monde, où parfois les rémunérations sont trente fois inférieures au revenu moyen européen. Cela ne signifiera pas la fermeture des frontières de l’Union européenne. Au contraire, les échanges continueront, mais avec un tarif extérieur commun européen. Taxer les produits chinois ou indiens limiterait une concurrence déloyale et établirait une vérité des prix. En imposant un degré de protection, ce n’est pas un mauvais coup porté aux pays émergents, c’est un moyen de les inciter à se développer en interne, afin d’améliorer le niveau de vie de leur propre population.
Manon Loubet, Politis.fr
mercredi 12 novembre 2008
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