Journaliste au Monde, Frédéric Lemaître fait le point sur la situation en Europe.
Fixer un salaire maximum aux dirigeants. L’idée fait petit à petit son chemin en Europe. Aux Pays-Bas, le parlement devrait bientôt étudier un projet de loi taxant à hauteur de 30% les parachutes dorés et autres primes de départ jugées excessives.
En Allemagne, le SPD doit débattre ce lundi, à huis clos, d’une proposition limitant à un million d’euros par an le salaire et les indemnités d’un patron déductibles des impôts payés par sa société.
Alors que, selon le Sunday Times, Lakshmi Mittal reste le Britannique le plus riche pour la quatrième année consécutive, parions qu’aucune réforme de ce type ne verra le jour si Londres, en particulier la City, ne l’adopte pas. Tant la finance joue un rôle moteur dans cette inflation des hauts revenus.
Reste que ce débat soulève une question passionnante à laquelle les économistes n’ont pas apporté de réponse satisfaisante. Pourquoi, la mondialisation, supposée tirer les bas salaires vers le bas a-t-elle surtout comme effet de tirer les hauts salaires vers le haut ?
28 avril 2008
http://lemaitre.blog.lemonde.fr/2008/04/28/vers-un-salaire-maximum/
En Allemagne, le SPD doit débattre ce lundi, à huis clos, d’une proposition limitant à un million d’euros par an le salaire et les indemnités d’un patron déductibles des impôts payés par sa société.
Alors que, selon le Sunday Times, Lakshmi Mittal reste le Britannique le plus riche pour la quatrième année consécutive, parions qu’aucune réforme de ce type ne verra le jour si Londres, en particulier la City, ne l’adopte pas. Tant la finance joue un rôle moteur dans cette inflation des hauts revenus.
Reste que ce débat soulève une question passionnante à laquelle les économistes n’ont pas apporté de réponse satisfaisante. Pourquoi, la mondialisation, supposée tirer les bas salaires vers le bas a-t-elle surtout comme effet de tirer les hauts salaires vers le haut ?
28 avril 2008
http://lemaitre.blog.lemonde.fr/2008/04/28/vers-un-salaire-maximum/
Il décrit précisément l’effet dissolvant sur les liens sociaux de la « démesure » des nouveaux capitalistes. Il rappelle le caractère illicite des paradis fiscaux, et prône le RMA (Revenu maximal acceptable) pour remettre la société sur ses pieds.
Patrick Viveret
Télécharger le fichier en mp3 (durée: 18′19″) : http://www.reporterre.net/sons/itv-viveret-060307.mp3
Patrick Viveret, conseiller à la Cour des Comptes, était à l’origine professeur de philosophie. Il a préféré s’engager plutôt que d’enseigner. Après avoir dirigé les revues « Faire », puis « Intervention », il a commencé à travailler dans l’analyse des politiques publiques. Il a ensuite animé la mission Nouveaux facteurs de richesse, qui a conduit à l’ouvrage « Reconsidérer la richesse ». Dans la foulée, il a participé à la création du Collectif pour une nouvelle approche de la richesse.
Samedi 16 février 2008
http://www.furax37.org/blog/?p=9
Par ailleurs, Patrick Viveret a été chargé par Guy Hascoët (secrétaire d'Etat à l'Économie solidaire du gouvernement Jospin), de diriger la mission "Nouveaux facteurs de richesse" (2001-2004), qui accouchera d'un rapport. Un livre destiné à un plus grand public en sera extrait : Reconsidérer la richesse
Patrick Viveret, conseiller à la Cour des Comptes, était à l’origine professeur de philosophie. Il a préféré s’engager plutôt que d’enseigner. Après avoir dirigé les revues « Faire », puis « Intervention », il a commencé à travailler dans l’analyse des politiques publiques. Il a ensuite animé la mission Nouveaux facteurs de richesse, qui a conduit à l’ouvrage « Reconsidérer la richesse ». Dans la foulée, il a participé à la création du Collectif pour une nouvelle approche de la richesse.
Samedi 16 février 2008
http://www.furax37.org/blog/?p=9
Par ailleurs, Patrick Viveret a été chargé par Guy Hascoët (secrétaire d'Etat à l'Économie solidaire du gouvernement Jospin), de diriger la mission "Nouveaux facteurs de richesse" (2001-2004), qui accouchera d'un rapport. Un livre destiné à un plus grand public en sera extrait : Reconsidérer la richesse
L’Europe sociale manque de moyens, d’idées, de projets concrets. L’idée, séduisante, d’un salaire minimum européen, se heurte à la disparité des niveaux de rémunération dans les pays européens. Et elle pose des questions délicates de compétitivité économique. Cette idée n’est donc pas prête d’aboutir. Par contre, une autre semble beaucoup plus facile à mettre en oeuvre : celle d’un salaire maximum européen.
Le débat est actuellement en cours en Allemagne. En Allemagne comme chez nous, le grand écart se produit entre les retraités, les chômeurs, les travailleurs à bas salaires qui doivent vivre avec 1000 euros ou moins par mois, tandis que les grands patrons empochent des dizaines de millions d’euros.
Face à cette situation, les syndicats allemands demandent la mise en place d’un salaire minimum couvrant tous les travailleurs, chose pour l’instant inexistante outre-Rhin. En réplique, un député conservateur, Christian Baümler, a demandé la création d’’un salaire annuel maximum, limité à 1 million d’euros.
Certes, créer un salaire maximum ne résoudra en rien les problèmes quotidiens de tous ceux qui vivent avec peu. Mais une telle initiative, surtout menée au niveau européen, permettrait de donner un petit peu de crédibilité aux discours politiques sur la lutte contre les inégalités, la juste rémunération du travail de chacun, le mérite individuel, etc.
Car si le niveau du salaire miminum a, dans notre économie, des implications en termes d’emplois, ce n’est pas le cas du salaire maximum. Personne ne peut raisonnablement défendre que les salaires délirants des grands patrons soient justifiés par des raisons d’efficacité économique. Certes, certains le disent - mais ils ne sont pas raisonnables.
On pourrait donc souhaiter qu’une initiative existe pour créer un salaire maximum européen. Reste à décider du montant de ce salaire. Le fixer trop haut serait pire que de ne rien décider.
Le député allemand a proposé 1 million d’euros. Ce montant me paraît délirant. Gagner 10 fois plus (10 fois plus !) que le salaire médian soit 20 000 euros par mois (20 000 euros par mois !!!), ou encore 250 000 euros par an, est déjà extravagant.
Mais, malheureusement, dans le contexte actuel, on peut être sûr que cette somme sera critiquée. Pourquoi ne pas soumettre son montant au débat politique ?
Publié le 20 décembre 2007
http://alternatives-economiques.fr/blogs/raveaud/2007/12/20/salaire-maximum-leurope-sociale-par-le-haut/
Face à cette situation, les syndicats allemands demandent la mise en place d’un salaire minimum couvrant tous les travailleurs, chose pour l’instant inexistante outre-Rhin. En réplique, un député conservateur, Christian Baümler, a demandé la création d’’un salaire annuel maximum, limité à 1 million d’euros.
Certes, créer un salaire maximum ne résoudra en rien les problèmes quotidiens de tous ceux qui vivent avec peu. Mais une telle initiative, surtout menée au niveau européen, permettrait de donner un petit peu de crédibilité aux discours politiques sur la lutte contre les inégalités, la juste rémunération du travail de chacun, le mérite individuel, etc.
Car si le niveau du salaire miminum a, dans notre économie, des implications en termes d’emplois, ce n’est pas le cas du salaire maximum. Personne ne peut raisonnablement défendre que les salaires délirants des grands patrons soient justifiés par des raisons d’efficacité économique. Certes, certains le disent - mais ils ne sont pas raisonnables.
On pourrait donc souhaiter qu’une initiative existe pour créer un salaire maximum européen. Reste à décider du montant de ce salaire. Le fixer trop haut serait pire que de ne rien décider.
Le député allemand a proposé 1 million d’euros. Ce montant me paraît délirant. Gagner 10 fois plus (10 fois plus !) que le salaire médian soit 20 000 euros par mois (20 000 euros par mois !!!), ou encore 250 000 euros par an, est déjà extravagant.
Mais, malheureusement, dans le contexte actuel, on peut être sûr que cette somme sera critiquée. Pourquoi ne pas soumettre son montant au débat politique ?
Publié le 20 décembre 2007
http://alternatives-economiques.fr/blogs/raveaud/2007/12/20/salaire-maximum-leurope-sociale-par-le-haut/
Faut-il instaurer un salaire maximum pour les managers ? L’introduction d’un salaire minimum universel va-t-elle conduire à la destruction de 1,9 million d’emplois ? Ces questions sont au centre de la « bataille des salaires » qui agite l’Allemagne.
Quel point commun y a-t-il entre Carl Eduard von Bismarck, arrière-petit-fils du grand chancelier allemand, Wendelin Wiedeking, patron de Porsche, et mon facteur? A priori aucun, sauf que leurs salaires et rémunérations sont au centre du débat politique allemand.
Baptisé le « député le plus paresseux d’Allemagne », le premier a été invité par le groupe parlementaire conservateur à abandonner son mandat de député fédéral pour cause d’absentéisme répété. Après seulement 33 mois de mandat, M. von Bismarck a tout de même acquis le droit à 631 euros de retraite, ce qui scandalise l’opinion publique.
1 million d’euros maximum
Le second, patron d’un des groupes automobiles les plus rentables du monde, va quant à lui toucher près de 60 millions d’euros de salaires et primes en 2007. Juste rémunération pour des performances exceptionnelles ou rétribution immorale ? Le débat sur le salaire des patrons est relancé et le député conservateur Christian Baümler demande même l’introduction d’un salaire annuel maximum de 1 million d’euros.
Enfin, mon facteur travaille chez PIN AG, première entreprise postale privée, et gagne 700 euros net par mois en poussant son vélo. Est-ce un scandale ou bien mieux que le chômage, là aussi les avis sont partagés.
Ces questionnements sur la juste participation aux « fruits de la croissance » sont au centre du débat politique actuel et devraient être l’un des principaux sujets de la campagne électorale de 2009. Depuis 2002, les salaires des patrons allemands ont augmenté de 62%, alors que ceux des salariés allemands stagnent depuis dix ans. Par ailleurs, le nombre des emplois à bas salaires (6 à 7 millions) a explosé et l’on compte aujourd’hui 1,3 million de salariés à plein temps dont le salaire est si bas qu’ils bénéficient d’un complément d’aide sociale. Enfin, les hausses salariales obtenues en 2007 ont finalement été dévorées par l’inflation.
Pour lutter contre l’effondrement des salaires, les syndicats et la gauche allemande ont donc choisi le salaire minimum universel, inexistant en Allemagne, comme cheval de bataille. Mise sous pression par son partenaire social-démocrate au sein de la coalition gouvernementale, Angela Merkel a refusé catégoriquement la généralisation d’un tel salaire. En contrepartie, elle a accepté de l’envisager pour les secteurs où les partenaires sociaux en émettraient le désir.
Angela Merkel, piégée sur le salaire minimum
Ce compromis est très critiqué par les adversaires du salaire minimum. Car depuis, le SPD et les syndicats ont réussi à faire adopter un salaire minimum compris entre 7,5 euros et 9,8 euros, dans le BTP, les entreprises électriques, le nettoyage industriel, les services hôteliers ou encore, récemment, les services postaux. Le prochain objectif est le secteur de l’intérim : « J’en suis persuadé, le salaire minimum va venir, et pour tout le monde », a récemment déclaré Olaf Scholz, le ministre social-démocrate de l’Emploi et des Affaires sociales.
Face à cette offensive, les adversaires du salaire minimum, c’est-à-dire une partie de la droite, les patrons et certains économistes sonnent l’alarme : «Un salaire minimum universel de seulement 7,50 euros peut conduire à la suppression de 1,1 million d’emplois. Au-delà, on aboutirait même à 1,9 million de suppressions », analyse Hans-Werner Sinn, patron de l’Institut de recherches économiques de Münich (IFO). Il estime que le salaire minimum tue la concurrence et qu’a tout prendre, il est préférable de laisser les lois du marché définir le niveau des salaires.
Pour Angela Merkel, la situation est très embarrassante. Dépassée par les ambitions du SPD, la chancelière est fortement critiquée par son propre camp. Plutôt que de se battre une bonne fois pour toutes et d’opposer un non définitif au salaire minimum, elle a ouvert les vannes à une série d’accords sectoriels qui seront autant d’affrontements politiques. Ceux-ci seront d’autant plus dangereux que deux tiers des Allemands sont favorables au salaire minimum.
Thomas Schnee, à Berlin - 18/12/2007 15:34 - L'Expansion.com
Baptisé le « député le plus paresseux d’Allemagne », le premier a été invité par le groupe parlementaire conservateur à abandonner son mandat de député fédéral pour cause d’absentéisme répété. Après seulement 33 mois de mandat, M. von Bismarck a tout de même acquis le droit à 631 euros de retraite, ce qui scandalise l’opinion publique.
1 million d’euros maximum
Le second, patron d’un des groupes automobiles les plus rentables du monde, va quant à lui toucher près de 60 millions d’euros de salaires et primes en 2007. Juste rémunération pour des performances exceptionnelles ou rétribution immorale ? Le débat sur le salaire des patrons est relancé et le député conservateur Christian Baümler demande même l’introduction d’un salaire annuel maximum de 1 million d’euros.
Enfin, mon facteur travaille chez PIN AG, première entreprise postale privée, et gagne 700 euros net par mois en poussant son vélo. Est-ce un scandale ou bien mieux que le chômage, là aussi les avis sont partagés.
Ces questionnements sur la juste participation aux « fruits de la croissance » sont au centre du débat politique actuel et devraient être l’un des principaux sujets de la campagne électorale de 2009. Depuis 2002, les salaires des patrons allemands ont augmenté de 62%, alors que ceux des salariés allemands stagnent depuis dix ans. Par ailleurs, le nombre des emplois à bas salaires (6 à 7 millions) a explosé et l’on compte aujourd’hui 1,3 million de salariés à plein temps dont le salaire est si bas qu’ils bénéficient d’un complément d’aide sociale. Enfin, les hausses salariales obtenues en 2007 ont finalement été dévorées par l’inflation.
Pour lutter contre l’effondrement des salaires, les syndicats et la gauche allemande ont donc choisi le salaire minimum universel, inexistant en Allemagne, comme cheval de bataille. Mise sous pression par son partenaire social-démocrate au sein de la coalition gouvernementale, Angela Merkel a refusé catégoriquement la généralisation d’un tel salaire. En contrepartie, elle a accepté de l’envisager pour les secteurs où les partenaires sociaux en émettraient le désir.
Angela Merkel, piégée sur le salaire minimum
Ce compromis est très critiqué par les adversaires du salaire minimum. Car depuis, le SPD et les syndicats ont réussi à faire adopter un salaire minimum compris entre 7,5 euros et 9,8 euros, dans le BTP, les entreprises électriques, le nettoyage industriel, les services hôteliers ou encore, récemment, les services postaux. Le prochain objectif est le secteur de l’intérim : « J’en suis persuadé, le salaire minimum va venir, et pour tout le monde », a récemment déclaré Olaf Scholz, le ministre social-démocrate de l’Emploi et des Affaires sociales.
Face à cette offensive, les adversaires du salaire minimum, c’est-à-dire une partie de la droite, les patrons et certains économistes sonnent l’alarme : «Un salaire minimum universel de seulement 7,50 euros peut conduire à la suppression de 1,1 million d’emplois. Au-delà, on aboutirait même à 1,9 million de suppressions », analyse Hans-Werner Sinn, patron de l’Institut de recherches économiques de Münich (IFO). Il estime que le salaire minimum tue la concurrence et qu’a tout prendre, il est préférable de laisser les lois du marché définir le niveau des salaires.
Pour Angela Merkel, la situation est très embarrassante. Dépassée par les ambitions du SPD, la chancelière est fortement critiquée par son propre camp. Plutôt que de se battre une bonne fois pour toutes et d’opposer un non définitif au salaire minimum, elle a ouvert les vannes à une série d’accords sectoriels qui seront autant d’affrontements politiques. Ceux-ci seront d’autant plus dangereux que deux tiers des Allemands sont favorables au salaire minimum.
Thomas Schnee, à Berlin - 18/12/2007 15:34 - L'Expansion.com
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Selon un sondage récent et après des scandales à répétition, deux tiers des Allemands sont aujourd'hui pour limiter les salaires des grands dirigeants d'entreprise par un texte de loi. L'idée a même été reprise par la chancelière Angela Merkel qui a créé un groupe de travail parlementaire pour étudier cette possibilité.
Est-il normal que les patrons qui échouent dans leur tâche soient augmentés ?", c'est la question qui a été posée à Angela Merkel, lors du dernier congrès de son parti. La chancelière allemande a ainsi relancé le débat en faveur du loi qui fixerait le montant maximum des salaires des grands dirigeants d'entreprise. Il s'est même élargi à tous les grands patrons, ceux qui remplissent leur mission comme les autres. Premier pas vers cette législation : la création d'un groupe de travail parlementaire.
Car la question est sensible en Allemagne. Siemens par exemple a fait savoir que son nouveau patron Peter Löscher, payé 1,7 million hors primes pour son premier trimestre à la tête de l'entreprise, avait été débauché au prix de 8,5 millions. Le patron de la Deutsche Bank, Josef Ackermann, serait lui le mieux payé outre-Rhin avec un salaire, primes comprises, de 13,21 millions. Selon un sondage publié le week-end dernier, 65% des Allemands sont favorables à l'instauration d'une limite maximale pour les salaires des patrons dans un contexte général où beaucoup d'entre eux estiment ne pas profiter assez des fruits de la croissance.
Même les ministres les plus à droite de la coalition au pouvoir en Allemagne semblent désormais favorables à cette idée. En revanche, les syndicats sont plutôt opposés à ce projet de salaire maximum car, selon le droit du travail allemand, ils ont déjà leur mot à dire sur ces salaires puisqu'ils participent au comité qui fixent à l'intérieur de chaque société, les revenus de ses dirigeants.
Europe1.fr Créé le 13/12/07
http://www.europe1.fr/Info/Archives/2007/Allemagne-l-idee-d-un-salaire-maximum-pour-les-patrons-avance
Car la question est sensible en Allemagne. Siemens par exemple a fait savoir que son nouveau patron Peter Löscher, payé 1,7 million hors primes pour son premier trimestre à la tête de l'entreprise, avait été débauché au prix de 8,5 millions. Le patron de la Deutsche Bank, Josef Ackermann, serait lui le mieux payé outre-Rhin avec un salaire, primes comprises, de 13,21 millions. Selon un sondage publié le week-end dernier, 65% des Allemands sont favorables à l'instauration d'une limite maximale pour les salaires des patrons dans un contexte général où beaucoup d'entre eux estiment ne pas profiter assez des fruits de la croissance.
Même les ministres les plus à droite de la coalition au pouvoir en Allemagne semblent désormais favorables à cette idée. En revanche, les syndicats sont plutôt opposés à ce projet de salaire maximum car, selon le droit du travail allemand, ils ont déjà leur mot à dire sur ces salaires puisqu'ils participent au comité qui fixent à l'intérieur de chaque société, les revenus de ses dirigeants.
Europe1.fr Créé le 13/12/07
http://www.europe1.fr/Info/Archives/2007/Allemagne-l-idee-d-un-salaire-maximum-pour-les-patrons-avance
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Ce n’est pas pour des raisons économiques qu’il faut s’interroger sur le RMA («revenu maximal admissible»), c’est pour des raisons politiques et morales.
C’est la fête sur les marchés boursiers. Champagne et cotillons. Depuis le 1er janvier 2007, les actionnaires des sociétés qui composent le CAC40 [1] à la Bourse de Paris ont vu leur patrimoine grossir de 131 milliards d’euros en raison de la hausse des cours des actions incluses dans cet indice. Près de deux fois plus en quinze semaines que la progression du produit intérieur brut (PIB) de la France au cours de l’ensemble de l’année 2006 (+ 72 milliards d’euros), soit près de 9 milliards d’euros par semaine (deux fois le coût du RMI).
Certes, la comparaison est critiquable puisqu’elle porte sur l’évolution respective d’un flux (le PIB) et celle d’un stock (le patrimoine) dont on sait, en outre, qu’il est détenu pour 55% environ par des non-résidents. Pour autant, le rapprochement n’est pas dénué de signification : en un peu plus d’un trimestre, les actionnaires ont accru leur richesse deux fois plus que l’ensemble des 25 millions de personnes en emploi ont permis de faire progresser la valeur créée par leur travail durant toute une année. Je vois d’ici les conclusions en forme de condamnation que certains procureurs vont se dépêcher de tirer : Taxons le capital, puisque c’est un magot qui ne cesse de grossir ! La France est riche, mais ce sont les actionnaires qui en profitent, pas les travailleurs. Prenons l’argent là où il est : à la Bourse !
Ce n’est évidemment pas si simple. D’abord parce que, s’il arrive que la Bourse monte, il lui arrive aussi de baisser, voire de s’effondrer : le «e-krach» de 2000 est encore dans les mémoires de beaucoup. La détention d’actions est un placement à risque, et pour persuader les détenteurs de capitaux de le privilégier de préférence à d’autres, il faut bien les attirer par une espérance de rémunération plus forte que la moyenne.
Ensuite, les firmes du CAC40 sont pour l’essentiel mondialisées : leurs bénéfices proviennent de leurs filiales étrangères pour une part majoritaire, et leurs actionnaires sont pour la plupart non résidents : dans un monde où la liberté de circulation des capitaux est la règle, les imposer ici plus lourdement qu’ailleurs, c’est la certitude de provoquer la délocalisation d’une partie des sièges sociaux. Enfin, et sans doute surtout, si la tendance est à la hausse des cours, c’est parce que les bénéfices des firmes cotées, et notamment l’ampleur des dividendes qu’elles versent à leurs actionnaires (100 milliards d’euros pour les firmes du CAC40), exercent un effet de levier. Ainsi, lorsque le bénéfice par action passe de 5% une année à 6% l’année suivante, le cours par action tend mathématiquement à progresser d’un cinquième, voire davantage si les opérateurs de marché anticipent que cette croissance des bénéfices se poursuivra. En moyenne, 1 euro de bénéfice en plus se traduit par 15 euros de valorisation du cours de l’action, mais cet effet de levier peut doubler si les opérateurs pensent que la croissance des bénéfices se poursuivra.
Reste que l’inégalité entre le sort des détenteurs d’actions et celui du reste de la population est choquante. Parce qu’elle justifie les rémunérations énormes que s’attribuent, en toute bonne conscience, les dirigeants des firmes concernées, ce qui pousse ensuite ceux qui sont déjà assez bien, voire très bien, lotis à s’estimer insuffisamment rémunérés. François Lenglet, dans un essai stimulant [2], rappelle qu’en 1989 le montant de la rémunération du PDG d’alors de Peugeot, Jacques Calvet, révélé par Le Canard Enchaîné, avait scandalisé. Les 2 millions de francs annuels d’alors (400.000 € d’aujourd’hui) apparaissent pourtant bien bénins au regard des dizaines de millions d’euros gagnés par une poignée de grands dirigeants, qu’ils s’appellent Antoine Zacharias, Lindsay Owen-Jones ou Noël Forgeard.
Certes, cela ne concerne que peu de monde, mais quoi qu’en dise Laurence Parisot – «un parachute doré (…) est une sécurité qui réduit l’angoisse [du dirigeant]» –, de telles sommes contribuent fortement à déliter la cohésion sociale du pays et à attiser la colère des démunis. Elles devraient faire honte à ceux qui les perçoivent ou qui les défendent parce que, quels que soient leur talent et leurs mérites, elles poussent tous les autres membres de la société à s’estimer maltraités. Ce qui engendre plus de frustrations et de colère que cela ne calme l’angoisse des bénéficiaires.
La démocratie est alors vécue comme un leurre lorsqu’elle s’accompagne de telles inégalités. Ce n’est pas pour des raisons économiques qu’il faut aujourd’hui s’interroger sur un RMA («revenu maximal admissible»), c’est pour des raisons politiques et morales.
[1] Cotation assistée en continu des 40 sociétés effectuant le plus gros volume des transactions à la Bourse de Paris.
[2] "La crise des années 30 est devant nous" par François Lenglet, éd. Perrin, 2007.
Denis CLERC pour Alternatives Économiques, Samedi 28 Avril 2007
http://www.alternatives-economiques.fr/champagne-_fr_art_211_25137.html?PHPSESSID=4cplee5tes3mriv2366pf9usv3
Certes, la comparaison est critiquable puisqu’elle porte sur l’évolution respective d’un flux (le PIB) et celle d’un stock (le patrimoine) dont on sait, en outre, qu’il est détenu pour 55% environ par des non-résidents. Pour autant, le rapprochement n’est pas dénué de signification : en un peu plus d’un trimestre, les actionnaires ont accru leur richesse deux fois plus que l’ensemble des 25 millions de personnes en emploi ont permis de faire progresser la valeur créée par leur travail durant toute une année. Je vois d’ici les conclusions en forme de condamnation que certains procureurs vont se dépêcher de tirer : Taxons le capital, puisque c’est un magot qui ne cesse de grossir ! La France est riche, mais ce sont les actionnaires qui en profitent, pas les travailleurs. Prenons l’argent là où il est : à la Bourse !
Ce n’est évidemment pas si simple. D’abord parce que, s’il arrive que la Bourse monte, il lui arrive aussi de baisser, voire de s’effondrer : le «e-krach» de 2000 est encore dans les mémoires de beaucoup. La détention d’actions est un placement à risque, et pour persuader les détenteurs de capitaux de le privilégier de préférence à d’autres, il faut bien les attirer par une espérance de rémunération plus forte que la moyenne.
Ensuite, les firmes du CAC40 sont pour l’essentiel mondialisées : leurs bénéfices proviennent de leurs filiales étrangères pour une part majoritaire, et leurs actionnaires sont pour la plupart non résidents : dans un monde où la liberté de circulation des capitaux est la règle, les imposer ici plus lourdement qu’ailleurs, c’est la certitude de provoquer la délocalisation d’une partie des sièges sociaux. Enfin, et sans doute surtout, si la tendance est à la hausse des cours, c’est parce que les bénéfices des firmes cotées, et notamment l’ampleur des dividendes qu’elles versent à leurs actionnaires (100 milliards d’euros pour les firmes du CAC40), exercent un effet de levier. Ainsi, lorsque le bénéfice par action passe de 5% une année à 6% l’année suivante, le cours par action tend mathématiquement à progresser d’un cinquième, voire davantage si les opérateurs de marché anticipent que cette croissance des bénéfices se poursuivra. En moyenne, 1 euro de bénéfice en plus se traduit par 15 euros de valorisation du cours de l’action, mais cet effet de levier peut doubler si les opérateurs pensent que la croissance des bénéfices se poursuivra.
Reste que l’inégalité entre le sort des détenteurs d’actions et celui du reste de la population est choquante. Parce qu’elle justifie les rémunérations énormes que s’attribuent, en toute bonne conscience, les dirigeants des firmes concernées, ce qui pousse ensuite ceux qui sont déjà assez bien, voire très bien, lotis à s’estimer insuffisamment rémunérés. François Lenglet, dans un essai stimulant [2], rappelle qu’en 1989 le montant de la rémunération du PDG d’alors de Peugeot, Jacques Calvet, révélé par Le Canard Enchaîné, avait scandalisé. Les 2 millions de francs annuels d’alors (400.000 € d’aujourd’hui) apparaissent pourtant bien bénins au regard des dizaines de millions d’euros gagnés par une poignée de grands dirigeants, qu’ils s’appellent Antoine Zacharias, Lindsay Owen-Jones ou Noël Forgeard.
Certes, cela ne concerne que peu de monde, mais quoi qu’en dise Laurence Parisot – «un parachute doré (…) est une sécurité qui réduit l’angoisse [du dirigeant]» –, de telles sommes contribuent fortement à déliter la cohésion sociale du pays et à attiser la colère des démunis. Elles devraient faire honte à ceux qui les perçoivent ou qui les défendent parce que, quels que soient leur talent et leurs mérites, elles poussent tous les autres membres de la société à s’estimer maltraités. Ce qui engendre plus de frustrations et de colère que cela ne calme l’angoisse des bénéficiaires.
La démocratie est alors vécue comme un leurre lorsqu’elle s’accompagne de telles inégalités. Ce n’est pas pour des raisons économiques qu’il faut aujourd’hui s’interroger sur un RMA («revenu maximal admissible»), c’est pour des raisons politiques et morales.
[1] Cotation assistée en continu des 40 sociétés effectuant le plus gros volume des transactions à la Bourse de Paris.
[2] "La crise des années 30 est devant nous" par François Lenglet, éd. Perrin, 2007.
Denis CLERC pour Alternatives Économiques, Samedi 28 Avril 2007
http://www.alternatives-economiques.fr/champagne-_fr_art_211_25137.html?PHPSESSID=4cplee5tes3mriv2366pf9usv3
Josef Zisyadis est député socialiste suisse. Il a proposé d'instaurer le salaire maximum dans la Confédération helvétique...et bancaire !
Mon initiative parlementaire a été refusée hier au Parlement fédéral par 117 voix contre 56. Bon, vous ne trouverez rien dans la presse romande (ou presque), il vous faudrait lire la presse alémanique qui est plus correcte… C’est ainsi… depuis longtemps…
Mon initiative parlementaire pouvait sembler totalement utopique, mais elle était l’occasion de lancer un débat qui fait rage dans toutes les couches de la société.
La question philosophique de fond est celle de savoir, dans une société qui se veut démocratique, quel est l’éventail moralement acceptable entre le plus bas salaire et le plus haut salaire. Au début du XXe siècle, les libéraux américains estimaient que le maximum de différence admissible entre le plus bas et le plus haut salaire était de 1 à 20. En 2005, les dernières statistiques américaines chiffrent cette différence, cette inégalité, à un rapport de 1 à 435.
Si je prends l’exemple des revenus de Monsieur Ospel (le big boss de l’UBS…): entre la femme de ménage à 25 francs de l’heure et ses 10 000 francs de l’heure, la différence est de 1 à 400.
Juste un exemple récent: 280 000 millions de francs chacun, c’est le montant que peuvent encaisser six membres de la direction du Crédit suisse avec le fameux plan PIP (Performance Incentive Plan) pour la période 2004/05. Voilà des revenus qui dépassent l’entendement du simple citoyen !
Au-delà d’un certain seuil, les inégalités de revenus et de fortune sont des incitations à la délinquance. Les hauts salaires ne récompensent à ce stade plus rien, pas même les valeurs conservatrices comme l’effort, le mérite et le travail…
Quand la fortune des 225 personnes les plus riches du monde est égale au revenu de 2,5 milliards d’êtres humains, nous avons le cocktail le plus explosif de l’humiliation et de la misère, ce qui constitue vraisemblablement le réservoir de choix pour les fondamentalismes et les intégrismes de tous genres.
On pourrait dire que les salaires fous rendent fou. C’est pour cela que cette question ne touche pas seulement à la justice sociale et l’ordre public, mais aussi la politique de la santé. Tout simplement: au-delà d’un certain niveau de fortune, les riches sont atteints d’un phénomène psychique que connaissent bien les personnes qui travaillent dans le domaine des psychoses maniacodépressives, lesquelles peuvent conduire à des mises sous tutelle ou sous curatelle des personnes étant incapables de traiter rationnellement leur argent.
Les chroniques “people”, d’ailleurs, raffolent de ce genre de situations: elles font souvent état de managers qui sont entraînés dans un délire financier et y entraînent leur propre entreprise.
Bref, mon initiative parlementaire demandait: 1. que l’on instaure en Suisse un salaire minimum de 3500 francs 2. que l’on fixe la norme minimale acceptable pour le salaire maximum. Personnellement, je l’ai fixée à dix fois le SMIG, 35 000 francs 3. que l’on lie le SMIG et le revenu maximum acceptable, c’est-à-dire qu’en cas d’indexation, on maintienne cet écart d’inégalité… 4. que tout revenu supérieur à ce plafond soit versé dans un impôt fédéral sur la fortune.
Cela vous étonne que la droite refuse ?
Article du 7 mars 2007
Retrouver son blog : http://zisyadis.ch
Le texte de son initiative parlementaire :
http://www.parlament.ch/F/Suche/Pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20050425
Le procès-verbal :
http://www.parlament.ch/ab/frameset/f/n/4716/238036/f_n_4716_238036_238278.htm
Mon initiative parlementaire pouvait sembler totalement utopique, mais elle était l’occasion de lancer un débat qui fait rage dans toutes les couches de la société.
La question philosophique de fond est celle de savoir, dans une société qui se veut démocratique, quel est l’éventail moralement acceptable entre le plus bas salaire et le plus haut salaire. Au début du XXe siècle, les libéraux américains estimaient que le maximum de différence admissible entre le plus bas et le plus haut salaire était de 1 à 20. En 2005, les dernières statistiques américaines chiffrent cette différence, cette inégalité, à un rapport de 1 à 435.
Si je prends l’exemple des revenus de Monsieur Ospel (le big boss de l’UBS…): entre la femme de ménage à 25 francs de l’heure et ses 10 000 francs de l’heure, la différence est de 1 à 400.
Juste un exemple récent: 280 000 millions de francs chacun, c’est le montant que peuvent encaisser six membres de la direction du Crédit suisse avec le fameux plan PIP (Performance Incentive Plan) pour la période 2004/05. Voilà des revenus qui dépassent l’entendement du simple citoyen !
Au-delà d’un certain seuil, les inégalités de revenus et de fortune sont des incitations à la délinquance. Les hauts salaires ne récompensent à ce stade plus rien, pas même les valeurs conservatrices comme l’effort, le mérite et le travail…
Quand la fortune des 225 personnes les plus riches du monde est égale au revenu de 2,5 milliards d’êtres humains, nous avons le cocktail le plus explosif de l’humiliation et de la misère, ce qui constitue vraisemblablement le réservoir de choix pour les fondamentalismes et les intégrismes de tous genres.
On pourrait dire que les salaires fous rendent fou. C’est pour cela que cette question ne touche pas seulement à la justice sociale et l’ordre public, mais aussi la politique de la santé. Tout simplement: au-delà d’un certain niveau de fortune, les riches sont atteints d’un phénomène psychique que connaissent bien les personnes qui travaillent dans le domaine des psychoses maniacodépressives, lesquelles peuvent conduire à des mises sous tutelle ou sous curatelle des personnes étant incapables de traiter rationnellement leur argent.
Les chroniques “people”, d’ailleurs, raffolent de ce genre de situations: elles font souvent état de managers qui sont entraînés dans un délire financier et y entraînent leur propre entreprise.
Bref, mon initiative parlementaire demandait: 1. que l’on instaure en Suisse un salaire minimum de 3500 francs 2. que l’on fixe la norme minimale acceptable pour le salaire maximum. Personnellement, je l’ai fixée à dix fois le SMIG, 35 000 francs 3. que l’on lie le SMIG et le revenu maximum acceptable, c’est-à-dire qu’en cas d’indexation, on maintienne cet écart d’inégalité… 4. que tout revenu supérieur à ce plafond soit versé dans un impôt fédéral sur la fortune.
Cela vous étonne que la droite refuse ?
Article du 7 mars 2007
Retrouver son blog : http://zisyadis.ch
Le texte de son initiative parlementaire :
http://www.parlament.ch/F/Suche/Pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20050425
Le procès-verbal :
http://www.parlament.ch/ab/frameset/f/n/4716/238036/f_n_4716_238036_238278.htm
Partageons déjà un constat : dans notre société riche jusqu’à l’obésité, l’existence d’îlots de pauvreté n’est pas seulement inacceptable - aucune pauvreté n’est acceptable - elle est surtout aberrante. Lorsque les « grands » patrons français gagnent l’équivalent de 300 SMIC par mois et côtoient les 4 millions de français (sur)vivant aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, la nécessité d’un rééquilibrage est-elle encore à démontrer ? C’est pourquoi on adhèrera sans peine à cette affirmation avancée par les signataires de la motion du PPLD « en avant la décroissance ! » [1] : « la première décroissance que nous voulons, c’est celle des inégalités ».
Cette position de principe étant revendiquée, reste à la mettre en pratique et à trouver sa traduction politique. Le problème est loin d’être insoluble. Les richesses sont là, il ne nous reste qu’à les répartir équitablement... Dans l’optique de décroissance qui est la nôtre, deux options semblent envisageables pour amorcer cette juste répartition : un « revenu maximum autorisé », ou un « revenu inconditionnel de citoyenneté ».
La proposition de « revenu maximum autorisé » consiste à plafonner progressivement les revenus à hauteur de trois SMIC. Une révolution en somme, aisément réalisable sur le plan fiscal, et qui entraînerait sans doute une redistribution des revenus en direction des bas salaires. L’idée de « revenu de citoyenneté » consiste quant à elle à verser sans condition ni contrepartie, un revenu très modeste mais suffisant - c’est-à-dire permettant de se passer de tout revenu d’activité - à chaque citoyen.
Les deux mesures s’appuient donc sur une redistribution verticale des richesses - des riches vers les pauvres - mais se distinguent notamment par le mode de répartition choisi. Répartition par les salaires d’activité pour l’une, répartition par un salaire social pour l’autre. Le choix du mode de répartition est en fait lourd de sens. Ainsi, en confirmant le rôle du travail comme principal vecteur de la répartition des richesses - le travail demeure la source quasi-exclusive de revenu - le « revenu maximum autorisé » confirme la place exubérante et la valeur absurde accordée aujourd’hui au travail alors même que la décroissance implique une critique globale de la « spirale consommation - croissance - travail ». A l’inverse, en s’appuyant sur une déconnection entre revenu et travail, le « revenu de citoyenneté » appelle une remise en cause de la place du travail dans la société et une critique concomitante de celle de la consommation [2]. Sur ce point, le revenu de citoyenneté semble donc davantage en adéquation avec une logique de décroissance.
Mais revenons à la question de l’inégalité à laquelle « revenu maximum autorisé » et « revenu inconditionnel de citoyenneté » entendent apporter une réponse. Après tout, l’inégalité des revenus est-elle choquante en soi ? Non. Bien sûr, elle est scandaleuse dès que certains vivent dans le besoin, mais l’est-elle encore si chacun dispose d’un revenu suffisant ? D’ailleurs, peut-on raisonnablement envisager un idéal égalitaire où chacun disposerait d’un revenu identique à celui des autres ? Ce serait sans doute oublier que la justice n’est pas dans l’égalité mais bien dans l’équité. « Chacun selon ses besoins », voilà un objectif répondant à l’impératif de justice sociale.
Dès lors, peu importe que certains gagnent des millions pour se prélasser sur leur yacht si ceux - dont je suis - qui pour se divertir préfèrent la belote, disposent des ressources suffisantes pour se livrer à leur activité préférée. On voit bien, à travers cet exemple trivial, que les réponses apportées par chacun à ses propres besoins peuvent impliquer des dépenses et donc des niveaux de revenu variables... Les inégalités de revenu trouvent ici une justification voire une certaine légitimité. Ces inégalités sont-elles injustes pour autant ? Sans doute pas, du moins ne semblent-elles pas iniques dès lors, insistons sur ce point, que l’accès de tous aux biens et services essentiels est garanti.
Finalement, revenu maximum autorisé ou revenu inconditionnel de citoyenneté ? Posons autrement la question : faut-il imposer aux plus riches un niveau de vie maximum ou garantir à tous un niveau de vie minimum ? La réponse est évidente et plaide sans conteste en faveur du revenu de citoyenneté même si, au final, les deux mesures auraient vraisemblablement un impact comparable en terme de répartition des revenus. Mais là n’est pas l’essentiel car, au-delà de cet arbitrage, le choix entre « revenu maximum autorisé » et « revenu inconditionnel de citoyenneté » appelle deux questionnements de fond sur le discours et la démarche politique des objecteurs de croissance.
Sur le discours d’abord. Le « revenu maximum autorisé » s’inscrit dans un ensemble de propositions détaillées dans la motion « en avant la décroissance ! ». Parmi les dix idées-forces avancées, notons ici, outre le RMA, l’interdiction des sports et loisirs motorisés ainsi que l’interdiction de posséder plus de deux logements. Joli programme ! Là où le Petit Nicolas transpose le rêve américain en nous promettant de faire de la France le pays où tout est possible, les objecteurs de croissance ne semblent promettre qu’interdiction, restriction et prohibition. Nos détracteurs n’en demandent pas tant !
Entendons-nous bien, il n’est pas interdit d’interdire. On aurait même tort de s’en priver concernant toutes les activités et pratiques entraînant des dommages irréversibles pour la société ou l’environnement. Il n’est pas interdit d’interdire donc, mais en l’occurrence est-ce bien pertinent ? De telles mesures sont-elles vraiment opportunes dans le cadre d’une politique des loisirs ou du logement ? Pire, sont-elles seulement lisibles et recevable par l’opinion publique ?
Pour ce qui est de leur lisibilité, on peut sérieusement en douter. Non, limiter le nombre de logements par ménages ne constitue pas une politique du logement digne de ce nom. De fait, comme il est préférable de garantir à tous un niveau de vie minimum plutôt que de plafonner les revenus, il serait plus cohérent, plutôt que d’interdire la possession de plus de deux logements par ménages, de s’assurer que chaque ménage dispose d’au moins un logement décent ! Dans cette optique, le plafonnement des loyers, la réquisition des logements inoccupés et le renforcement des mesures fiscales taxant davantage les résidences secondaires afin de financer le développement d’un réel service public du logement, semblent bien plus lisibles et pertinents qu’une simple interdiction.
Pour ce qui est de la recevabilité par l’opinion publique, le cœur du problème réside dans les tensions qui opposent l’interdiction ou la réglementation au nom de l’intérêt général, et le choix d’une liberté sans bornes au péril de la société. Des tensions au cœur de tout projet politique mais qu’il faut dépasser si l’on souhaite atteindre un consensus démocratique. Par la radicalité qu’elle suppose, la critique de la croissance se heurte inévitablement à cette exigence démocratique. Les objecteurs de croissance doivent donc trouver une voie médiane.
Au nom de la préservation de l’environnement, faudrait-il par exemple interdire la consommation de bananes en France métropolitaine ? Certainement pas ! Il est urgent en revanche de répercuter les coûts cachés de nos modes de vie par le biais d’une taxe écologique pouvant financer la recherche de sources d’énergie de substitution. Voilà la voie médiane. A l’interdiction, préférons la répercussion systématique du coût des réparations que le caractère parfois nocif de nos modes de vie et de consommation nécessite. A ce titre, le principe de gratuité de l’usage et de cherté du mésusage, suggéré par Paul Ariès [3], répond bien à cet objectif. Outre l’impact désincitatif à l’égard du mésusage, cette logique présente l’avantage de préserver la liberté de chacun et l’intérêt de tous.
La question du partage du travail nous offre un parallèle instructif. Toujours dans notre optique de décroissance, faut-il opter pour une réduction drastique du temps de travail légal ou favoriser l’entrée dans une société du temps de travail choisi ? On voit aujourd’hui que l’accueil mitigé des 35h par les patrons comme les salariés soulève cette question avec d’autant plus d’acuité. Après tout, si certains préfèrent travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher dès lors qu’ils acceptent, au nom du « vivre ensemble », de partager avec l’ensemble des citoyens une part des revenus tirés du travail qu’ils monopolisent dans un contexte de rareté de l’emploi ?
On en arrive finalement à cette question de fond : quel doit être l’objectif d’une politique ? S’agit-il de conformer le mode de vie de la société aux souhaits, si légitimes soient-ils, de la majorité, ou de donner à chacun la possibilité de dessiner la société dans laquelle il souhaite vivre en tenant compte, bon gré mal gré, de l’intérêt général ? Plus que tout autre courant de pensée, la décroissance doit questionner sa démarche politique. Car la décroissance ne se décrète pas. Elle peut être encouragée, soutenue politiquement, mais, au nom de notre attachement à la liberté et à la démocratie, elle ne peut être imposée, pas même par la majorité. Finalement, la critique radicale de la croissance doit être porteuse, non pas d’une politique de transformation sociale, mais plutôt d’une politique de transformation par la société.
[1] Voir le site Internet du PPLD : http://www.partipourladecroissance.net
[2] Pour une argumentation détaillée, voir Baptiste MYLONDO, « Travailler moins, trois fois moins », dans Jean-Pierre GELARD (dir.), Travailler plus, travailler moins, travailler autrement, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007.
[3] Paul ARIES, Le mésusage. Essai sur l’hypercapitalisme, Lyon, Parangon, 2007.
lundi 15 janvier 2007
http://www.decroissance.info/Revenu-maximum-autorise-ou-revenu
La proposition de « revenu maximum autorisé » consiste à plafonner progressivement les revenus à hauteur de trois SMIC. Une révolution en somme, aisément réalisable sur le plan fiscal, et qui entraînerait sans doute une redistribution des revenus en direction des bas salaires. L’idée de « revenu de citoyenneté » consiste quant à elle à verser sans condition ni contrepartie, un revenu très modeste mais suffisant - c’est-à-dire permettant de se passer de tout revenu d’activité - à chaque citoyen.
Les deux mesures s’appuient donc sur une redistribution verticale des richesses - des riches vers les pauvres - mais se distinguent notamment par le mode de répartition choisi. Répartition par les salaires d’activité pour l’une, répartition par un salaire social pour l’autre. Le choix du mode de répartition est en fait lourd de sens. Ainsi, en confirmant le rôle du travail comme principal vecteur de la répartition des richesses - le travail demeure la source quasi-exclusive de revenu - le « revenu maximum autorisé » confirme la place exubérante et la valeur absurde accordée aujourd’hui au travail alors même que la décroissance implique une critique globale de la « spirale consommation - croissance - travail ». A l’inverse, en s’appuyant sur une déconnection entre revenu et travail, le « revenu de citoyenneté » appelle une remise en cause de la place du travail dans la société et une critique concomitante de celle de la consommation [2]. Sur ce point, le revenu de citoyenneté semble donc davantage en adéquation avec une logique de décroissance.
Mais revenons à la question de l’inégalité à laquelle « revenu maximum autorisé » et « revenu inconditionnel de citoyenneté » entendent apporter une réponse. Après tout, l’inégalité des revenus est-elle choquante en soi ? Non. Bien sûr, elle est scandaleuse dès que certains vivent dans le besoin, mais l’est-elle encore si chacun dispose d’un revenu suffisant ? D’ailleurs, peut-on raisonnablement envisager un idéal égalitaire où chacun disposerait d’un revenu identique à celui des autres ? Ce serait sans doute oublier que la justice n’est pas dans l’égalité mais bien dans l’équité. « Chacun selon ses besoins », voilà un objectif répondant à l’impératif de justice sociale.
Dès lors, peu importe que certains gagnent des millions pour se prélasser sur leur yacht si ceux - dont je suis - qui pour se divertir préfèrent la belote, disposent des ressources suffisantes pour se livrer à leur activité préférée. On voit bien, à travers cet exemple trivial, que les réponses apportées par chacun à ses propres besoins peuvent impliquer des dépenses et donc des niveaux de revenu variables... Les inégalités de revenu trouvent ici une justification voire une certaine légitimité. Ces inégalités sont-elles injustes pour autant ? Sans doute pas, du moins ne semblent-elles pas iniques dès lors, insistons sur ce point, que l’accès de tous aux biens et services essentiels est garanti.
Finalement, revenu maximum autorisé ou revenu inconditionnel de citoyenneté ? Posons autrement la question : faut-il imposer aux plus riches un niveau de vie maximum ou garantir à tous un niveau de vie minimum ? La réponse est évidente et plaide sans conteste en faveur du revenu de citoyenneté même si, au final, les deux mesures auraient vraisemblablement un impact comparable en terme de répartition des revenus. Mais là n’est pas l’essentiel car, au-delà de cet arbitrage, le choix entre « revenu maximum autorisé » et « revenu inconditionnel de citoyenneté » appelle deux questionnements de fond sur le discours et la démarche politique des objecteurs de croissance.
Sur le discours d’abord. Le « revenu maximum autorisé » s’inscrit dans un ensemble de propositions détaillées dans la motion « en avant la décroissance ! ». Parmi les dix idées-forces avancées, notons ici, outre le RMA, l’interdiction des sports et loisirs motorisés ainsi que l’interdiction de posséder plus de deux logements. Joli programme ! Là où le Petit Nicolas transpose le rêve américain en nous promettant de faire de la France le pays où tout est possible, les objecteurs de croissance ne semblent promettre qu’interdiction, restriction et prohibition. Nos détracteurs n’en demandent pas tant !
Entendons-nous bien, il n’est pas interdit d’interdire. On aurait même tort de s’en priver concernant toutes les activités et pratiques entraînant des dommages irréversibles pour la société ou l’environnement. Il n’est pas interdit d’interdire donc, mais en l’occurrence est-ce bien pertinent ? De telles mesures sont-elles vraiment opportunes dans le cadre d’une politique des loisirs ou du logement ? Pire, sont-elles seulement lisibles et recevable par l’opinion publique ?
Pour ce qui est de leur lisibilité, on peut sérieusement en douter. Non, limiter le nombre de logements par ménages ne constitue pas une politique du logement digne de ce nom. De fait, comme il est préférable de garantir à tous un niveau de vie minimum plutôt que de plafonner les revenus, il serait plus cohérent, plutôt que d’interdire la possession de plus de deux logements par ménages, de s’assurer que chaque ménage dispose d’au moins un logement décent ! Dans cette optique, le plafonnement des loyers, la réquisition des logements inoccupés et le renforcement des mesures fiscales taxant davantage les résidences secondaires afin de financer le développement d’un réel service public du logement, semblent bien plus lisibles et pertinents qu’une simple interdiction.
Pour ce qui est de la recevabilité par l’opinion publique, le cœur du problème réside dans les tensions qui opposent l’interdiction ou la réglementation au nom de l’intérêt général, et le choix d’une liberté sans bornes au péril de la société. Des tensions au cœur de tout projet politique mais qu’il faut dépasser si l’on souhaite atteindre un consensus démocratique. Par la radicalité qu’elle suppose, la critique de la croissance se heurte inévitablement à cette exigence démocratique. Les objecteurs de croissance doivent donc trouver une voie médiane.
Au nom de la préservation de l’environnement, faudrait-il par exemple interdire la consommation de bananes en France métropolitaine ? Certainement pas ! Il est urgent en revanche de répercuter les coûts cachés de nos modes de vie par le biais d’une taxe écologique pouvant financer la recherche de sources d’énergie de substitution. Voilà la voie médiane. A l’interdiction, préférons la répercussion systématique du coût des réparations que le caractère parfois nocif de nos modes de vie et de consommation nécessite. A ce titre, le principe de gratuité de l’usage et de cherté du mésusage, suggéré par Paul Ariès [3], répond bien à cet objectif. Outre l’impact désincitatif à l’égard du mésusage, cette logique présente l’avantage de préserver la liberté de chacun et l’intérêt de tous.
La question du partage du travail nous offre un parallèle instructif. Toujours dans notre optique de décroissance, faut-il opter pour une réduction drastique du temps de travail légal ou favoriser l’entrée dans une société du temps de travail choisi ? On voit aujourd’hui que l’accueil mitigé des 35h par les patrons comme les salariés soulève cette question avec d’autant plus d’acuité. Après tout, si certains préfèrent travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher dès lors qu’ils acceptent, au nom du « vivre ensemble », de partager avec l’ensemble des citoyens une part des revenus tirés du travail qu’ils monopolisent dans un contexte de rareté de l’emploi ?
On en arrive finalement à cette question de fond : quel doit être l’objectif d’une politique ? S’agit-il de conformer le mode de vie de la société aux souhaits, si légitimes soient-ils, de la majorité, ou de donner à chacun la possibilité de dessiner la société dans laquelle il souhaite vivre en tenant compte, bon gré mal gré, de l’intérêt général ? Plus que tout autre courant de pensée, la décroissance doit questionner sa démarche politique. Car la décroissance ne se décrète pas. Elle peut être encouragée, soutenue politiquement, mais, au nom de notre attachement à la liberté et à la démocratie, elle ne peut être imposée, pas même par la majorité. Finalement, la critique radicale de la croissance doit être porteuse, non pas d’une politique de transformation sociale, mais plutôt d’une politique de transformation par la société.
[1] Voir le site Internet du PPLD : http://www.partipourladecroissance.net
[2] Pour une argumentation détaillée, voir Baptiste MYLONDO, « Travailler moins, trois fois moins », dans Jean-Pierre GELARD (dir.), Travailler plus, travailler moins, travailler autrement, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007.
[3] Paul ARIES, Le mésusage. Essai sur l’hypercapitalisme, Lyon, Parangon, 2007.
lundi 15 janvier 2007
http://www.decroissance.info/Revenu-maximum-autorise-ou-revenu
Article publié le 24 mars 2006 par Dominique Plihon, Jean Gadrey et Pascal Boniface ayant fait l'objet d'une fiche du Conseil Scientifique et des Commissions Nationales d'ATTAC qui fut relayé dans le Manifeste altermondialiste.
1/ Etat des lieux
La mondialisation néolibérale a pour effet d’accroître les écarts de salaires entre les salariés et les dirigeants d’entreprise. D’un côté, la mondialisation est organisée pour mettre en concurrence les travailleurs des pays du Sud et du Nord, ce qui a pour conséquence de tirer vers le bas les salaires dans les pays développés, tout en exploitant la main d’œuvre à bon marché des pays en développement. De l’autre côté, la mondialisation s’est traduite par une augmentation explosive des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises transnationales, alliés des détenteurs du capital financier mondialisé.
En France, les revenus « salariaux » des patrons superstars du CAC 40 étaient, en moyenne, de 2 à 3 millions d’euros par an ces dernières années, c’est-à-dire de 1.1 à 1.7 million de francs par mois, soit 540 fois le RMI et 240 fois le SMIC. Certains patrons dépassent largement ces montants, tels ceux d’Aventis (8.4 millions d’euros en 2003) et de l’Oréal (6.7 millions d’euros en 2003). Et ces revenus s’entendent hors stock-options, cela va de soi ... À de tels niveaux on hésite à parler encore de « salaires », tant il est clair qu’il s’agit d’une forme détournée d’accaparement des profits.
D’après les estimations de Thomas Piketty dans « Les hauts revenus en France au 20ème siècle », le revenu des 0.01 % les plus riches (3 225 foyers fiscaux) était de 224 RMI ou de 102 SMIC en 1998. Ces écarts ont nettement progressé depuis. Les écarts de revenus sont vraisemblablement aujourd’hui de l’ordre de 1 à 200 avant impôt, et de 1 à 120 après impôt. Sachant que le taux d‘imposition des 0.01 les plus riches, qui était de 60 % en 1980, a plongé, particulièrement sous les gouvernements de gauche de 1982 à 1987, pour atteindre 39% en 1998, d’après Piketty.
En se limitant aux seuls salaires, le salaire net annuel moyen (avant impôts) des 1 % les plus riches en 1998 était de 58 300 francs par mois, soit un peu plus de 10 fois le SMIC net de l’époque.
2/ Propositions
La proposition qui pourrait être faite est de fixer, dans un délai à prévoir, un éventail de revenus (salaires et revenus du patrimoine) avant impôt allant de 1 (pour le SMIC à temps plein) à 5 pour les plus hauts revenus, proposition assortie d’une exigence de maintien (au moins) de la progressivité actuelle de l’impôt sur le revenu.
Dans une perspective européenne, on pourrait élargir cette proposition en la couplant avec l’objectif d’un salaire minimum dans tous les pays d’Europe, calé sur le PIB par habitant.
Le mot d’ordre serait ainsi en France et dans chaque pays d’Europe : vers un écart maximum de 1 à 5 pour les revenus avant impôt (hors revenus des minimas sociaux, qui doivent faire l’objet de mesures spécifiques de réévaluation).
Il y a deux moyens de parvenir à cet objectif :
- le premier est de fixer par la loi un écart maximum entre les niveaux de revenus
- le second est d’utiliser la fiscalité : un taux d’imposition de 90 % sur tous les revenus supérieurs à 5 fois le SMIC à temps plein (actuellement 73.000 euros par an). En France, à peine plus de 1 % des ménages seraient concernés par une telle imposition.
Cette deuxième approche, fondée sur la fiscalité, pourrait être privilégiée pour plusieurs raisons énoncées ci-dessous. Elle devrait être complétée par d’autres mesures : nous proposons également de supprimer les stock options (ainsi que les autres rémunérations du type « golden parachute ») et de les remplacer par des rémunérations indexées, non sur le cours boursier de l’entreprise comme les stock options, mais sur l’application d’objectifs sociaux et environnementaux.
3/ Conséquences attendues
La réduction des inégalités de revenus par la voie fiscale aurait plusieurs avantages :
- Cette proposition est « réaliste » car de tels taux de 90 % ont existé au 20ème siècle dans de nombreux pays, dont la France, et même aux États-Unis où ce taux a été dépassé pendant plus de vingt ans, de 1942 à 1964 (même s’il s’appliquait à des revenus nettement supérieurs)
- Cette mesure est bonne pour les finances publiques et la défense des politiques publiques
- Cette mesure peut s’inscrire dans notre combat européen pour une politique fiscale harmonisée et pour un retour à une fiscalité progressive
- Cette mesure apparaît conforme avec les luttes et mots d’ordres antérieurs d’Attac qui s’appuient sur la fiscalité (taxe Tobin), combattent la concurrence fiscale, privilégient la lutte contre les inégalités et la défense des politiques publiques.
- La deuxième proposition (suppression des stock options, remplacés par d’autres formes de rémunérations indexées sur les résultats sociaux et écologiques des entreprises) réduirait la logique actionnariale des entreprises et de leurs dirigeants, et inciterait ces derniers à appliquer des objectifs conformes à l’intérêt général.
4/ Résistances et moyens de les surmonter
Notre proposition de limiter les écarts de salaires ne manquera de susciter de vives critiques. La forte progressivité de la fiscalité sera accusée d’entraîner la délocalisation des entreprises et l’émigration des dirigeants d’entreprises. Ce type d’épouvantail a déjà été agité à plusieurs reprises, par exemple à l’occasion de la mise en œuvre des 35 heures. Les cassandres se sont trompés : pour l’accueil des investissements étrangers, la France est restée au quatrième ou cinquième rang mondial. En réalité, si les investisseurs étrangers viennent en France, c’est en raison du bon niveau de l’éducation et de la qualité des infrastructures. Les politiques publiques sont donc plébiscitées par les investisseurs étrangers ! Et les études existantes montrent que la fiscalité ne joue qu’un rôle secondaire dans les décisions de délocalisation des entreprises transnationales.
Une campagne d’explication sera nécessaire pour démonter les arguments de nos adversaires. Mais celle-ci devrait être facilitée par l’exaspération des salariés, chômeurs, citoyens face à la montée des inégalités et à la grande impopularité des rémunérations exorbitantes des dirigeants et des détenteurs du capital financier auxquels les profits sont redistribués en priorité, au détriment de l’investissement et de l’emploi.
http://www.france.attac.org/spip.php?article6033
La mondialisation néolibérale a pour effet d’accroître les écarts de salaires entre les salariés et les dirigeants d’entreprise. D’un côté, la mondialisation est organisée pour mettre en concurrence les travailleurs des pays du Sud et du Nord, ce qui a pour conséquence de tirer vers le bas les salaires dans les pays développés, tout en exploitant la main d’œuvre à bon marché des pays en développement. De l’autre côté, la mondialisation s’est traduite par une augmentation explosive des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises transnationales, alliés des détenteurs du capital financier mondialisé.
En France, les revenus « salariaux » des patrons superstars du CAC 40 étaient, en moyenne, de 2 à 3 millions d’euros par an ces dernières années, c’est-à-dire de 1.1 à 1.7 million de francs par mois, soit 540 fois le RMI et 240 fois le SMIC. Certains patrons dépassent largement ces montants, tels ceux d’Aventis (8.4 millions d’euros en 2003) et de l’Oréal (6.7 millions d’euros en 2003). Et ces revenus s’entendent hors stock-options, cela va de soi ... À de tels niveaux on hésite à parler encore de « salaires », tant il est clair qu’il s’agit d’une forme détournée d’accaparement des profits.
D’après les estimations de Thomas Piketty dans « Les hauts revenus en France au 20ème siècle », le revenu des 0.01 % les plus riches (3 225 foyers fiscaux) était de 224 RMI ou de 102 SMIC en 1998. Ces écarts ont nettement progressé depuis. Les écarts de revenus sont vraisemblablement aujourd’hui de l’ordre de 1 à 200 avant impôt, et de 1 à 120 après impôt. Sachant que le taux d‘imposition des 0.01 les plus riches, qui était de 60 % en 1980, a plongé, particulièrement sous les gouvernements de gauche de 1982 à 1987, pour atteindre 39% en 1998, d’après Piketty.
En se limitant aux seuls salaires, le salaire net annuel moyen (avant impôts) des 1 % les plus riches en 1998 était de 58 300 francs par mois, soit un peu plus de 10 fois le SMIC net de l’époque.
2/ Propositions
La proposition qui pourrait être faite est de fixer, dans un délai à prévoir, un éventail de revenus (salaires et revenus du patrimoine) avant impôt allant de 1 (pour le SMIC à temps plein) à 5 pour les plus hauts revenus, proposition assortie d’une exigence de maintien (au moins) de la progressivité actuelle de l’impôt sur le revenu.
Dans une perspective européenne, on pourrait élargir cette proposition en la couplant avec l’objectif d’un salaire minimum dans tous les pays d’Europe, calé sur le PIB par habitant.
Le mot d’ordre serait ainsi en France et dans chaque pays d’Europe : vers un écart maximum de 1 à 5 pour les revenus avant impôt (hors revenus des minimas sociaux, qui doivent faire l’objet de mesures spécifiques de réévaluation).
Il y a deux moyens de parvenir à cet objectif :
- le premier est de fixer par la loi un écart maximum entre les niveaux de revenus
- le second est d’utiliser la fiscalité : un taux d’imposition de 90 % sur tous les revenus supérieurs à 5 fois le SMIC à temps plein (actuellement 73.000 euros par an). En France, à peine plus de 1 % des ménages seraient concernés par une telle imposition.
Cette deuxième approche, fondée sur la fiscalité, pourrait être privilégiée pour plusieurs raisons énoncées ci-dessous. Elle devrait être complétée par d’autres mesures : nous proposons également de supprimer les stock options (ainsi que les autres rémunérations du type « golden parachute ») et de les remplacer par des rémunérations indexées, non sur le cours boursier de l’entreprise comme les stock options, mais sur l’application d’objectifs sociaux et environnementaux.
3/ Conséquences attendues
La réduction des inégalités de revenus par la voie fiscale aurait plusieurs avantages :
- Cette proposition est « réaliste » car de tels taux de 90 % ont existé au 20ème siècle dans de nombreux pays, dont la France, et même aux États-Unis où ce taux a été dépassé pendant plus de vingt ans, de 1942 à 1964 (même s’il s’appliquait à des revenus nettement supérieurs)
- Cette mesure est bonne pour les finances publiques et la défense des politiques publiques
- Cette mesure peut s’inscrire dans notre combat européen pour une politique fiscale harmonisée et pour un retour à une fiscalité progressive
- Cette mesure apparaît conforme avec les luttes et mots d’ordres antérieurs d’Attac qui s’appuient sur la fiscalité (taxe Tobin), combattent la concurrence fiscale, privilégient la lutte contre les inégalités et la défense des politiques publiques.
- La deuxième proposition (suppression des stock options, remplacés par d’autres formes de rémunérations indexées sur les résultats sociaux et écologiques des entreprises) réduirait la logique actionnariale des entreprises et de leurs dirigeants, et inciterait ces derniers à appliquer des objectifs conformes à l’intérêt général.
4/ Résistances et moyens de les surmonter
Notre proposition de limiter les écarts de salaires ne manquera de susciter de vives critiques. La forte progressivité de la fiscalité sera accusée d’entraîner la délocalisation des entreprises et l’émigration des dirigeants d’entreprises. Ce type d’épouvantail a déjà été agité à plusieurs reprises, par exemple à l’occasion de la mise en œuvre des 35 heures. Les cassandres se sont trompés : pour l’accueil des investissements étrangers, la France est restée au quatrième ou cinquième rang mondial. En réalité, si les investisseurs étrangers viennent en France, c’est en raison du bon niveau de l’éducation et de la qualité des infrastructures. Les politiques publiques sont donc plébiscitées par les investisseurs étrangers ! Et les études existantes montrent que la fiscalité ne joue qu’un rôle secondaire dans les décisions de délocalisation des entreprises transnationales.
Une campagne d’explication sera nécessaire pour démonter les arguments de nos adversaires. Mais celle-ci devrait être facilitée par l’exaspération des salariés, chômeurs, citoyens face à la montée des inégalités et à la grande impopularité des rémunérations exorbitantes des dirigeants et des détenteurs du capital financier auxquels les profits sont redistribués en priorité, au détriment de l’investissement et de l’emploi.
http://www.france.attac.org/spip.php?article6033
Un autre monde est-il réellement possible ? Sans doute, mais comment ? Organisé selon quelles lignes de force principales ? Obéissant à quel principe de cohérence central ? C’est sur la réponse à ces questions que, de l’aveu même de ses animateurs, la mouvance altermondialiste, qui a acquis en quelques années une audience et une légitimité que peu d’observateurs prévoyaient, commence à achopper.
Trop de réponses partielles, d’importance et de rang bien différents, parfois contradictoires, sont proposées et s’entrechoquent ou voisinent à l’occasion des multiples ateliers, rencontres et séminaires ; au risque qu’au plaisir de se retrouver « tous ensemble », à l’effervescence festive initiale, au sentiment de se trouver à l’aube et à l’origine d’un monde nouveau, ne se substitue peu à peu un sentiment de cacophonie et d’impuissance. C’est d’ailleurs sur ce trait que se sont focalisés les comptes rendus et les analyses du récent forum social de Saint-Denis. La dénonciation, ou la célébration, des « nouvelles radicalités » a fait place au constat de leur hétérogénéité et à la question lancinante : « Mais qu’est-ce qu’ils proposent, au bout du compte, ces altermondialistes ? ».
Pourtant, personne ne doute vraiment qu’un autre monde ne soit souhaitable, tant celui qui existe est menaçant. Selon sa sensibilité, sa trajectoire intellectuelle, religieuse ou idéologique propre, selon l’air du temps aussi, chacun s’inquiétera plutôt de la persistance de la faim dans le monde, des risques écologiques majeurs, de la raréfaction prochaine des sources énergétiques, du manque d’eau, de la pollution atmosphérique, de la réduction du nombre des espèces, de la recrudescence des maladies épidémiques, de la dévastation de l’Afrique par le SIDA, de l’explosion des inégalités dans le monde, de l’exacerbation des intégrismes, de la flambée des communautarismes, de la multiplication des conflits ethniques, culturels ou religieux plus ou moins génocidaires, du poids croissant de la corruption, des mafias et du crime organisé, etc. Mais la diversité même de ces menaces donne le tournis et contribue au sentiment d’impuissance générale. On ne peut pas être sur tous les fronts à la fois. Par où donc commencer ? À quoi s’attaquer en priorité ? Qui doit et qui peut faire quoi ?
Pour tenter de se frayer une voie à travers cet entrelacs de questions épineuses, il ne sera pas inutile d’observer tout d’abord que les menaces qui pèsent sur le monde sont de deux types assez différents. Les premières soulèvent la question de la « durabilité » physique et écologique de notre système économique, i.e. du capitalisme boursier mondialisé. Les secondes posent celle de savoir s’il n’engendre pas des inégalités et des injustices intrinsèquement incompatibles avec l’idéal démocratique. Remarquons que le second questionnement a une sorte de priorité logique sur le premier. Il ne peut exister en effet de débat sur la possibilité (ou l’impossibilité) d’un développement durable que dans le cadre d’une démocratie effective. Ne rêvons pas : les bonnes solutions techniques et écologiques ne naîtront pas comme par enchantement de la libre discussion. Cette dernière ne peut pas être la condition suffisante du développement durable. Mais elle en est la condition nécessaire. Il n’y aura donc pas de développement durable – pas plus que d’éventuelle « décroissance conviviale » – sans démocratie durable.
C’est donc sur la question de la démocratie qu’un mouvement altermondialiste soucieux de peser effectivement sur le cours du monde doit mettre l’accent au premier chef. Mais il existe de multiples manières de se référer à l’idéal démocratique, ouvertes chacune à de nombreuses interprétations. Supposons, par exemple, qu’on identifie la démocratie à l’obtention de droits. La question se pose alors aussitôt : lesquels ? Les droits de l’homme ? les droits sociaux ? les droits des minorités – religieuses, ethniques, sexuelles ? ceux des communautés, ceux des femmes, ceux des individus ? À nouveau, le tournis nous prend.
Nous voudrions suggérer ici que le combat prioritaire à mener aujourd’hui, celui qui pourrait rallier l’essentiel des suffrages de tous ceux qui se préoccupent du bien commun de l’humanité, passe par le couplage de la lutte contre la logique de la démesure – les puissances de l’illimitation libérées par l’explosion du capitalisme spéculatif – avec la lutte contre l’explosion des inégalités. On pourrait montrer, en effet, comment la quasi-totalité des problèmes qui se posent à nous aujourd’hui – des problèmes environnementaux aux problèmes bioéthiques en passant par les multiples conflits sociaux et politiques – renvoient systématiquement à la question des limites qu’il nous faut définir et imposer aux forces de la démesure, de l’hubris, si nous voulons que notre monde reste humain et vivable. Cette question de l’illimitation et des limites ne doit pas être posée en termes philosophiques trop abstraits. Ce qu’il nous faut comprendre, c’est que la démesure trouve à la fois sa source et son aboutissement dans une explosion sans précédent des inégalités. Tout le monde connaît les chiffres spectaculaires qui attestent de l’inégalité ahurissante qui règne entre les nations. Selon le rapport du PNUD (ONU), par exemple, les 1 % les plus riches du monde ont un revenu égal aux 57 % les plus pauvres. Ou encore : les trois personnes les plus riches du monde possèdent une fortune supérieure au PIB des 58 pays les plus pauvres.
Mais ces chiffres sont tellement impressionnants qu’à la limite, ils nous laissent incrédules et sans réaction. Plus parlantes sont en fait les analyses qui enregistrent la montée de l’inégalité au sein des pays riches. L’économiste Thomas Piketty montre comment nous avons retrouvé un monde d’inégalités comparable à celui d’avant 1914. Plus près de nous, l’économiste américain Paul Krugman rappelait il y a peu dans le New York Times qu’en 1970, les cent patrons américains les mieux payés gagnaient en moyenne 39 fois plus que leurs salariés de base. Le rapport est passé aujourd’hui à 1 000 pour 1. Autrement dit, le taux de cette inégalité-là a été multiplié par plus de 25 en une trentaine d’années. Voilà qui donne une mesure concrète du basculement du monde opéré en si peu de temps. Or, comme l’écrit à juste titre l’écrivain Norman Mailer, « personne […] n’a jamais professé qu’un authentique système démocratique permettait aux plus riches de gagner mille fois plus que les pauvres ».
Ces observations mènent directement à la formulation de deux propositions à la fois plausibles et universalisables, susceptibles de devenir conjointement la revendication première non seulement de tous ceux qui se disent altermondialistes, mais de tous les hommes et les femmes de bonne volonté, sincèrement attachés à faire vivre l’idéal démocratique.
Proposition 1 : Tout État doit assurer à chacun de ses ressortissants un niveau de ressources au moins égal à la moitié du salaire de base local (ou de son équivalent).
Proposition 2 : Aucun État ne doit tolérer qu’une personne obtienne des gains annuels régulièrement supérieurs à cent fois le salaire de base.
Ou encore, et pour faire court : aux tendances à l’illimitation qui menacent la planète, il faut d’abord répondre en instaurant simultanément un revenu minimum et un revenu maximum.
La mise en œuvre de telles mesures soulève nécessairement une infinité de problèmes techniques plus ou moins délicats. Aussi bien leur portée est-elle d’abord symbolique. Mais il convient d’observer qu’elles ne se heurtent à aucune impossibilité pratique véritable. Cent fois le salaire de base, par exemple, c’est encore près de trois fois le taux d’inégalité propre au capitalisme américain en 1970 qui n’était pas, que l’on sache, de type bolchevique ou socialiste. Le problème principal est en fait celui qui résulte de l’inégalité du monde. Ces mesures doivent-elles être adoptées sur une base nationale ou internationale ? Si l’on remarque qu’il n’y a aucun sens à définir un revenu minimum international qui serait la moyenne entre les revenus minimums congolais et américain par exemple, il en résulte aussitôt que c’est au niveau national (ou régional) qu’il faut raisonner. Avec l’énorme avantage qu’en faisant pression sur les États qui n’assurent pas ce minimum de ressources, l’opinion publique internationale pèserait ipso facto en faveur de leur démocratisation et de la protection des minorités. Mais, d’un autre côté, il est difficile d’interdire à des entrepreneurs africains, par exemple, de gagner plus que cent fois le revenu de base de leur pays, sachant que ce revenu resterait dérisoire au regard de ce que gagnent et gagneraient encore ses homologues des pays riches. Aussi bien – pour ce qui concerne l’instauration d’un revenu maximum – est-ce par les pays les plus riches qu’il faudra commencer. Quant à la création d’un revenu minimum dans les pays pauvres, le mieux sera de la coupler avec l’abolition de la dette qui pèse sur eux.
Qui poussera à l’adoption de telles mesures ? Ne risquent-elles pas de se révéler utopiques faute de combattants ? Tout dépend de leur pertinence symbolique. Si l’opinion publique mondiale se persuade que c’est bien là qu’est le combat premier à mener, il sera alors assez facile de boycotter les entreprises et de stigmatiser les États dont les dirigeants ne respecteraient pas la nouvelle norme. Les organismes internationaux, les grandes consciences et les petits actionnaires suivront…
Alain Caillé, économiste et sociologue, professeur des universités à Paris X-Nanterre, directeur de La Revue du MAUSS, est membre du conseil scientifique d’ATTAC.
http://www.revuedumauss.com.fr/Pages/ACTF.html
Pourtant, personne ne doute vraiment qu’un autre monde ne soit souhaitable, tant celui qui existe est menaçant. Selon sa sensibilité, sa trajectoire intellectuelle, religieuse ou idéologique propre, selon l’air du temps aussi, chacun s’inquiétera plutôt de la persistance de la faim dans le monde, des risques écologiques majeurs, de la raréfaction prochaine des sources énergétiques, du manque d’eau, de la pollution atmosphérique, de la réduction du nombre des espèces, de la recrudescence des maladies épidémiques, de la dévastation de l’Afrique par le SIDA, de l’explosion des inégalités dans le monde, de l’exacerbation des intégrismes, de la flambée des communautarismes, de la multiplication des conflits ethniques, culturels ou religieux plus ou moins génocidaires, du poids croissant de la corruption, des mafias et du crime organisé, etc. Mais la diversité même de ces menaces donne le tournis et contribue au sentiment d’impuissance générale. On ne peut pas être sur tous les fronts à la fois. Par où donc commencer ? À quoi s’attaquer en priorité ? Qui doit et qui peut faire quoi ?
Pour tenter de se frayer une voie à travers cet entrelacs de questions épineuses, il ne sera pas inutile d’observer tout d’abord que les menaces qui pèsent sur le monde sont de deux types assez différents. Les premières soulèvent la question de la « durabilité » physique et écologique de notre système économique, i.e. du capitalisme boursier mondialisé. Les secondes posent celle de savoir s’il n’engendre pas des inégalités et des injustices intrinsèquement incompatibles avec l’idéal démocratique. Remarquons que le second questionnement a une sorte de priorité logique sur le premier. Il ne peut exister en effet de débat sur la possibilité (ou l’impossibilité) d’un développement durable que dans le cadre d’une démocratie effective. Ne rêvons pas : les bonnes solutions techniques et écologiques ne naîtront pas comme par enchantement de la libre discussion. Cette dernière ne peut pas être la condition suffisante du développement durable. Mais elle en est la condition nécessaire. Il n’y aura donc pas de développement durable – pas plus que d’éventuelle « décroissance conviviale » – sans démocratie durable.
C’est donc sur la question de la démocratie qu’un mouvement altermondialiste soucieux de peser effectivement sur le cours du monde doit mettre l’accent au premier chef. Mais il existe de multiples manières de se référer à l’idéal démocratique, ouvertes chacune à de nombreuses interprétations. Supposons, par exemple, qu’on identifie la démocratie à l’obtention de droits. La question se pose alors aussitôt : lesquels ? Les droits de l’homme ? les droits sociaux ? les droits des minorités – religieuses, ethniques, sexuelles ? ceux des communautés, ceux des femmes, ceux des individus ? À nouveau, le tournis nous prend.
Nous voudrions suggérer ici que le combat prioritaire à mener aujourd’hui, celui qui pourrait rallier l’essentiel des suffrages de tous ceux qui se préoccupent du bien commun de l’humanité, passe par le couplage de la lutte contre la logique de la démesure – les puissances de l’illimitation libérées par l’explosion du capitalisme spéculatif – avec la lutte contre l’explosion des inégalités. On pourrait montrer, en effet, comment la quasi-totalité des problèmes qui se posent à nous aujourd’hui – des problèmes environnementaux aux problèmes bioéthiques en passant par les multiples conflits sociaux et politiques – renvoient systématiquement à la question des limites qu’il nous faut définir et imposer aux forces de la démesure, de l’hubris, si nous voulons que notre monde reste humain et vivable. Cette question de l’illimitation et des limites ne doit pas être posée en termes philosophiques trop abstraits. Ce qu’il nous faut comprendre, c’est que la démesure trouve à la fois sa source et son aboutissement dans une explosion sans précédent des inégalités. Tout le monde connaît les chiffres spectaculaires qui attestent de l’inégalité ahurissante qui règne entre les nations. Selon le rapport du PNUD (ONU), par exemple, les 1 % les plus riches du monde ont un revenu égal aux 57 % les plus pauvres. Ou encore : les trois personnes les plus riches du monde possèdent une fortune supérieure au PIB des 58 pays les plus pauvres.
Mais ces chiffres sont tellement impressionnants qu’à la limite, ils nous laissent incrédules et sans réaction. Plus parlantes sont en fait les analyses qui enregistrent la montée de l’inégalité au sein des pays riches. L’économiste Thomas Piketty montre comment nous avons retrouvé un monde d’inégalités comparable à celui d’avant 1914. Plus près de nous, l’économiste américain Paul Krugman rappelait il y a peu dans le New York Times qu’en 1970, les cent patrons américains les mieux payés gagnaient en moyenne 39 fois plus que leurs salariés de base. Le rapport est passé aujourd’hui à 1 000 pour 1. Autrement dit, le taux de cette inégalité-là a été multiplié par plus de 25 en une trentaine d’années. Voilà qui donne une mesure concrète du basculement du monde opéré en si peu de temps. Or, comme l’écrit à juste titre l’écrivain Norman Mailer, « personne […] n’a jamais professé qu’un authentique système démocratique permettait aux plus riches de gagner mille fois plus que les pauvres ».
Ces observations mènent directement à la formulation de deux propositions à la fois plausibles et universalisables, susceptibles de devenir conjointement la revendication première non seulement de tous ceux qui se disent altermondialistes, mais de tous les hommes et les femmes de bonne volonté, sincèrement attachés à faire vivre l’idéal démocratique.
Proposition 1 : Tout État doit assurer à chacun de ses ressortissants un niveau de ressources au moins égal à la moitié du salaire de base local (ou de son équivalent).
Proposition 2 : Aucun État ne doit tolérer qu’une personne obtienne des gains annuels régulièrement supérieurs à cent fois le salaire de base.
Ou encore, et pour faire court : aux tendances à l’illimitation qui menacent la planète, il faut d’abord répondre en instaurant simultanément un revenu minimum et un revenu maximum.
La mise en œuvre de telles mesures soulève nécessairement une infinité de problèmes techniques plus ou moins délicats. Aussi bien leur portée est-elle d’abord symbolique. Mais il convient d’observer qu’elles ne se heurtent à aucune impossibilité pratique véritable. Cent fois le salaire de base, par exemple, c’est encore près de trois fois le taux d’inégalité propre au capitalisme américain en 1970 qui n’était pas, que l’on sache, de type bolchevique ou socialiste. Le problème principal est en fait celui qui résulte de l’inégalité du monde. Ces mesures doivent-elles être adoptées sur une base nationale ou internationale ? Si l’on remarque qu’il n’y a aucun sens à définir un revenu minimum international qui serait la moyenne entre les revenus minimums congolais et américain par exemple, il en résulte aussitôt que c’est au niveau national (ou régional) qu’il faut raisonner. Avec l’énorme avantage qu’en faisant pression sur les États qui n’assurent pas ce minimum de ressources, l’opinion publique internationale pèserait ipso facto en faveur de leur démocratisation et de la protection des minorités. Mais, d’un autre côté, il est difficile d’interdire à des entrepreneurs africains, par exemple, de gagner plus que cent fois le revenu de base de leur pays, sachant que ce revenu resterait dérisoire au regard de ce que gagnent et gagneraient encore ses homologues des pays riches. Aussi bien – pour ce qui concerne l’instauration d’un revenu maximum – est-ce par les pays les plus riches qu’il faudra commencer. Quant à la création d’un revenu minimum dans les pays pauvres, le mieux sera de la coupler avec l’abolition de la dette qui pèse sur eux.
Qui poussera à l’adoption de telles mesures ? Ne risquent-elles pas de se révéler utopiques faute de combattants ? Tout dépend de leur pertinence symbolique. Si l’opinion publique mondiale se persuade que c’est bien là qu’est le combat premier à mener, il sera alors assez facile de boycotter les entreprises et de stigmatiser les États dont les dirigeants ne respecteraient pas la nouvelle norme. Les organismes internationaux, les grandes consciences et les petits actionnaires suivront…
Alain Caillé, économiste et sociologue, professeur des universités à Paris X-Nanterre, directeur de La Revue du MAUSS, est membre du conseil scientifique d’ATTAC.
http://www.revuedumauss.com.fr/Pages/ACTF.html
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