L’idée de la taxation des riches progresse. Elle est la clef de la solution de ce qu’il est convenu d’appeler la crise de la dette publique. Elle est au cœur des propositions que le Front de Gauche défend depuis deux ans pour le partage des richesses. Avec notamment le salaire maximum et le revenu maximum.


Taxer les riches avec le revenu maximum et le salaire maximum
Des inégalités indécentes et néfastes
Les patrons du CAC 40 gagnent en moyenne 300 fois le revenu médian des Français.
Un patron du CAC 40 gagne ainsi en 1 jour ce qu’un smicard gagne en 1 an.
Les 500 + gros actionnaires français détiennent 15 % du PIB contre 6 % il y a 10 ans
10 % les plus riches = 25 % des revenus du pays (et ont capté 33 % des hausses de revenus de 2004 à 2007)
10 % les moins riches = 3,5 % des revenus du pays
Depuis 1998 :
- pour les 0,01% les plus riches (6 000 personnes) : + 51 % de revenus
- pour les 90% les moins riches (23 millions de salariés) : + 3,1 % de revenus
Les revenus des 6 000 plus riches ont augmenté 17 fois plus vite que ceux de 23 millions de personnes = un enrichissement indu, sans cause économique légitime

Carlos Goshn, Renault/Nissan : 770 ans de SMIC (6 000 emplois supprimés)
Chris Viehbacher, Sanofi-Aventis : 590 ans de SMIC (3 000 emplois supprimés)
Christophe de Margerie, Total : 375 ans de SMIC
Gérard Mestrallet, GDF/Suez : 280 ans de SMIC
Henri de Castries, AXA : 265 ans de SMIC
Lakshi Mittal, Arcelor : 216 ans de SMIC
Baudoin Prot, BNP : 200 ans de SMIC
Didier Lombard, France Télécom : 140 ans de SMIC

Pour un salaire maximum dans les entreprises
= pas de salaire supérieur à 20 fois le salaire le plus bas
Ce plafonnement permettrait de contraindre les patrons à augmenter les plus bas salaires avant de s’augmenter : cela permettrait d’enclencher un cercle vertueux en faveur de l’augmentation prioritaire des bas salaires.

Pour un revenu maximum autorisé
= taxation à 100 % des revenus (tous revenus confondus) au-delà de 20 fois le revenu médian

Qui serait concerné par la taxation à 100 % ?
Ceux qui gagnent plus de 360 000 euros annuels, c’est à dire plus de 30 000 euros mensuels = 0,05 % des contribuables, soit 15 000 ultra-riches
Une mesure qui rendrait l’impôt sur le revenu plus progressif :
- Création de 9 nouvelles tranches progressives du taux supérieur actuel de 40 % jusqu’à 100 % : soit un impôt à 14 tranches comme en 1981
- 5 % des contribuables les plus riches seraient concernés par cette augmentation progressive des tranches. Les contribuables concernés par ces nouvelles tranches gagnent plus de 70 000 euros de revenus annuels, soit 6 000 euros mensuels.

Cela ne pénaliserait pas l’économie:
- le revenu moyen des 3 millions de chefs d’entreprise du pays est de 40 000 euros annuels, soit nettement moins que les 70 000 euros à partir desquels la taxation serait relevée
- le revenu moyen des patrons d’entreprises entre 50 et 100 salariés est de 110 000 euros annuels
–> donc nettement en dessous du plafond de 360 000 euros proposé pour la taxation à 100 %. Le revenu maximum ne pénaliserait donc nullement l’économie productive mais frapperait l’accumulation spéculative des rentiers qui se concentre dans les secteurs de la finance, de la communication et du show-business qui vampirisent toute l’économie.

C’est possible et il existe des précédents :
- de 2002 à aujourd’hui, le taux supérieur de l’impôt sur le revenu est rapidement passé de 52 % à 40 %
- jusqu’en 1986, le taux supérieur était à 65 % (avec 14 tranches contre 5 aujourd’hui) et il dépassait même les 90 % sous la IIIème République
- aux USA Roosevelt avait porté le taux supérieur à 91 % et il est resté à 70 % jusqu’en 1980
- un revenu maximum a été instauré dés la révolution française dans le décret du 4 août 1789 qui, en abolissant les privilèges, plafonnait à 3 000 livres annuelles les revenus tirés de rentes

Place au Peuple, Site officiel de la campagne du Front de gauche


Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Jeudi 12 Janvier 2012 à 13:43 | Commentaires (0)

Proposition

Le revenu maximum acceptable (RMA) est une nécessité pour retisser le lien social et engager des politiques écologiques et sociales. Une trop grande inégalité n’est pas acceptable : gagner dix ou trente fois plus que les autres est peut-être admissible, gagner trois cent ou mille fois plus n’a simplement pas de sens. Mais la réduction des inégalités – dont le RMA sera un outil puissant - est inséparable d’une politique écologique.


Le revenu maximum est nécessaire pour enrayer la crise écologique
Pour le comprendre, rappelons que l’augmentation des inégalités depuis une trentaine d’années a caractérisé l’évolution récente du capitalisme. Par exemple, deux économistes, Carola Frydman et Raven E. Saks (1), ont montré que le rapport entre le salaire des trois principaux dirigeants des cinq cents plus grandes entreprises états-uniennes et le salaire moyen de leurs employés a fortement varié : cet indicateur de l’évolution des inégalités est resté stable des années 1940 jusqu’aux années 1970. Les patrons de ces entreprises gagnaient environ trente-cinq fois plus que leurs employés. Mais en 1980, une inflexion s’est produite, et depuis le rapport a grimpé jusqu’à atteindre plus de 300 dans les années 2000.

Ainsi, le capitalisme a connu un tournant majeur ; durant ce que l’on a appelé les « Trente Glorieuses », l’enrichissement collectif était assez équitablement distribué entre capital et travail, si bien que les rapports d’inégalité demeuraient stables. A partir des années 1980, un décrochage de plus en plus grand s’est opéré entre les détenteurs du capital et la masse des citoyens.

L’oligarchie accumule donc aujourd’hui revenus et patrimoine à un degré jamais vu depuis un siècle. Elle dépense sa richesse dans une consommation effrénée de yachts, d’avions privés, de résidences immenses, de bijoux, de montres, de voyages exotiques, d’un fatras clinquant de dilapidation somptuaire. Pourquoi ce comportement est-il un moteur puissant de la crise écologique ? Parce qu’il sert de modèle culturel sert à toute la société. Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. Médias, publicité, films, feuilletons, magazines « people », sont les outils de diffusion du modèle culturel dominant.

Comment alors l’oligarchie bloque-t-elle les évolutions nécessaires pour prévenir l’aggravation de la crise écologique ? Directement, bien sûr, par les puissants leviers – politiques, économiques et médiatiques - dont elle dispose et dont elle use afin de maintenir ses privilèges. Indirectement, et c’est aussi important, par ce modèle culturel de surconsommation qu’elle projette sur toute la société et qui en définit la normalité.

Or, prévenir l’aggravation de la crise écologique implique que l’humanité réduise son impact sur la biosphère. Cela signifie diminuer nos prélèvements de minerais, de bois, d’eau, d’or, de pétrole, etc., et réduire nos rejets de gaz à effet de serre, de déchets chimiques, de matières radioactives, d’emballages, etc. Autrement dit, réduire la consommation matérielle globale de nos sociétés.

Qui va réduire sa consommation matérielle ? Les 20 à 30 % de la population mondiale qui consomment près de 70 % des ressources tirées chaque année de la biosphère. C’est donc d’eux que le changement doit d’abord venir, c’est-à-dire pour l’essentiel, des peuples d’Amérique du nord, d’Europe et du Japon, ainsi que des classes riches des pays émergents.

Au sein des sociétés surdéveloppées, ce n’est pas aux pauvres et aux salariés modestes de réduire leur consommation matérielle. Mais pas seulement aux hyper-riches : ils ne sont pas assez nombreux pour que cela change suffisamment l’impact écologique collectif. Ce sont en fait les classes moyennes qui doivent réduire leur consommation matérielle.

La question de l’inégalité est ici cruciale : les classes moyennes n’accepteront pas de diminuer leur consommation matérielle si ce n’est pas une politique équitablement partagée. Recréer le sentiment de solidarité essentiel pour parvenir à cette réorientation radicale de notre culture suppose que soit entrepris un resserrement drastique des inégalités – ce qui, par ailleurs, transformerait le modèle culturel existant. Et de ce point de vue, le RMA est un outil particulièrement efficace.

Hervé Kempf - 27 décembre 2011

Note :

(1) Carola Frydman & Raven E. Saks, Executive Compensation : A New View from a Long-Run Perspective, 1936-2005, Finance and Economics Discussion Series 2007-35, Washington, Board of Governors of the Federal Reserve System, 2007.

Tags : kempf rma
Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Jeudi 29 Décembre 2011 à 23:09 | Commentaires (0)

Revue de presse

La loi de finance a finalement été votée à l'Assemblée. Au terme d'une longue nuit de débat, tous les amendements de l'opposition visant à augmenter la fiscalité sur les retraites chapeaux comme les golden parachutes ont été repoussés.


Pas de rigueur sur les hauts salaires
« J'appelle les responsables politiques et les dirigeants des grandes entreprises, en particulier des entreprises du CAC 40, à faire exactement la même chose ». En figeant les rémunérations du Président et des membres du gouvernement, pour son Nième plan de rigueur, François Fillon en a profité pour « inviter » les patrons des grandes entreprises à en faire de même. Une semaine plus tard, c’est toujours le silence radio du coté du Medef et plus encore de l’Afep, le lobby des grandes entreprises qui regroupe une petite centaine d’entre elles. Les députés socialistes ont donc profité de la fenêtre des amendements sur les articles dits non rattachés, permettant une rare liberté d’action, pour « aider » le premier ministre à se faire entendre. Ils ont ainsi multiplié les propositions visant à booster la fiscalité sur deux éléments de rémunération : les retraites chapeaux mais aussi et surtout les indemnités de départ. Et notamment deux amendements de Jérôme Cahuzac, le président PS de la Commission des finances.

Le premier présenté tend à « taxer de manière dissuasive les retraites chapeaux de plus de 24 000 euros par mois, soit un peu moins de 300 000 euros par an, pour tout le temps que dure la retraite. » Il s’agit de porter à 34%, contre 14% auparavant, le taux de la taxe sur les retraites chapeau pour celles qui dépassent les 288.000 euros par an. Voilà qui ne plaira pas à Pierre Richard, ex patron de Dexia et un des principaux responsable de la faillite de la banque qui a couté plusieurs milliards d’euros aux contribuable Français. Le bienheureux retraité que l'on peut croiser lors de ses paisibles promenades rive gauche carbure à 600 000 euros annuel, 4 millions de francs, rien que ça. Résultat, un vote négatif à l’Assemblée

Le second amendement cherchait lui à taper les fameux golden parachute. Car avant de profiter de la retraite chapeaux, la plupart des dirigeants ne partent pas les mains vides. Et il ne s’agit pas d’une vulgaire canne à pêche mais le plus souvent de deux voire trois années de salaire, fixe plus variable. Pas question a répondu Valérie Pécresse. La ministre du Budget s’est retranchée derrière la nouvelle contribution exceptionnelle de 3 % sur les hauts revenus, ceux qui excédent 250 000 euros, auxquels s’ajoute 1% pour ceux supérieurs à 500 000 euros. Un argument qui a du mal à convaincre jusque dans sa majorité. Et Cahuzac de citer le député UMP Gilles Carrez : « La contribution exceptionnelle, qui est un bon instrument pour la prise en compte des revenus du patrimoine, n’est cependant pas celui qui convient pour régler (le) problème (des rémunérations extravagantes) », expliquait le rapporteur général du budget, en octobre dernier. Qu’importe, là aussi l’Assemblée a rejeté l’amendement qui surtaxait de 20 % (en plus du taux normal de 40% et de la taxe exceptionnelle de 3%, soit 63%....) ces supers retraites au-delà de 250 000 euros.

Malgré les coup de menton du chef de l’état dans son discours de Toulon sur les bonus et les rémunérations des traders en général. Malgré la sortie de François Fillon qui entendait taxer « de façon confiscatoire les retraites chapeaux d’un niveau excessif », en avril 2009. Malgré les plans de rigueurs qui se suivent et demandent toujours plus d'efforts. Malgré les engagements pris par le secteur de la banque et plus généralement celui des grandes entreprises à se conformer au code de bonne conduite dit code Afep-Medef. Rien n'y a fait. En 2010, les rémunérations des dirigeants bancaires, sur lesquels seront calculés leur retraite chapeaux comme leur golden parachute, ont progressé de 44,8 %....

Emmanuel Lévy - Marianne | Jeudi 17 Novembre 2011;


Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Mardi 27 Décembre 2011 à 18:40 | Commentaires (0)

Revue de presse

En ce début de XXIIe siècle, plus personne ne conteste la nécessité de plafonner les écarts de revenus pour garantir la cohésion sociale et préserver l’environnement. Il y a un siècle, pourtant, cette idée semblait encore utopique. C’est avec la grande crise de 2008-2015, et les inégalités sans précédent qui la provoquèrent et l’accompagnèrent, que ce projet finit par s’imposer.


Quand les écarts de revenus furent enfin plafonnés,  par Jean Gadrey
Dans l’histoire des idées, de l’Antiquité à nos jours, c’est presque toujours en termes relatifs que les excès de richesse ont été dénoncés et que des limites ont été proposées, associant richesse et pauvreté, plafond et seuil. Trois raisons expliquent cette priorité accordée aux écarts relatifs plutôt qu’aux seuls niveaux absolus. La première relève de l’éthique, la seconde de l’économie, la troisième de l’écologie politique. Leur examen successif explique également pourquoi l’idée d’un plafonnement des écarts progressa au début du XXIe siècle.

La première, la « raison morale », s’exprimait en termes de décence ou d’indécence (de la richesse comme de la pauvreté), d’inégalités « acceptables » ou « tolérables » au regard des normes de justice en vigueur dans une société. Des enquêtes sociologiques permirent de les évaluer. Leurs résultats montraient que non seulement 80 % environ des Français estimaient que les inégalités étaient excessives, mais qu’ils n’hésitaient pas à se prononcer sur le montant souhaitable des minima sociaux et des revenus les plus élevés [1].

Dans la seconde explication de l’insistance (croissante) sur les écarts relatifs, deux arguments économiques se rejoignirent. Le premier consistait à dire qu’en réduisant l’excès de richesse on pourrait en finir avec la pauvreté monétaire [2], ou en tout cas la faire reculer fortement. Ce qui était exact : des évaluations simples montraient qu’en redistribuant une modeste partie des revenus des plus riches, sans affecter notablement leur bien-être, sans dommage pour l’économie, on pouvait faire reculer la pauvreté monétaire dans les pays riches au point de l’éradiquer [3].

Le second argument économique apparut avec la crise des subprimes de 2008. Il reposait sur la démonstration suivante. C’est à la fois la richesse excessive des riches en quête de rendements élevés pour leur énorme épargne disponible et la pauvreté des conditions de vie de millions de ménages qui avaient facilité la mise au point de produits financiers à très hauts risques (risques supportés finalement par les ménages modestes et par les contribuables), selon des mécanismes où les riches du monde entier prêtaient à des taux usuraires, via des institutions financières sous leur contrôle, à des ménages surendettés croyant à la hausse continue de la valeur de leurs logements. À nouveau, c’est bien l’énormité des écarts de richesse qui fut pointée du doigt, cette fois comme facteur de crise et de démesure financière.

Enfin, la troisième raison qui conduisit à privilégier les écarts de richesses relève de l’écologie politique : dans un monde dont les ressources naturelles étaient limitées (la prise de conscience de cette évidence avait été très tardive), alors que la pression écologique des plus riches (leur usage de ressources), était sans commune mesure avec celle des plus modestes, il arriva, bien après que tous les indicateurs eurent indiqué que les seuils de durabilité avaient déjà été dépassés, un moment où la richesse des uns interdit aux autres de vivre décemment, voire de survivre, en les privant de biens communs essentiels « plafonnés » par la nature. La réduction des inégalités devint alors un impératif de civilisation vital.

C’est seulement un peu plus tard, dans les années 2020, qu’on associa des normes relatives et des plafonds absolus de richesse, sur la base de la généralisation de l’indicateur d’empreinte écologique (des individus et des nations), qui invitait de plus en plus à « économiser » des ressources naturelles risquant de faire défaut, dont un climat vivable, l’eau, les terres arables, des matières premières nombreuses, ou la biodiversité, qui reculait dramatiquement.
Des revenus plafonnés, cela avait déjà existé, ou presque

« Revenu maximal acceptable », salaire maximum [4], progressivité de l’imposition des revenus jusqu’à une tranche d’imposition à 100 % pour les très hauts revenus : ces propositions gagnèrent du terrain à l’approche des élections de 2012 et dans les années qui suivirent. C’est que, en ce début de siècle, les trois registres de contestation de l’excès d’inégalités se nourrissaient de constats sociaux ou écologiques alarmants, qui se multiplièrent à partir de 2008 [5]. Des « économistes atterrés » aux ONG écologistes, en passant par les associations de lutte contre la pauvreté et les « indignés » du monde dont le mouvement multiforme avait pris de l’ampleur, la critique de l’excès de richesse au regard de ce que vivait la majorité des gens était devenue monnaie courante. Au point de « contaminer » des cercles ou des médias qui semblaient vaccinés. Le magazine L’Expansion consacrait ainsi, dans son numéro du 1er décembre 2010, un dossier de neuf pages à l’injustice de la répartition des richesses produites dans le cas des entreprises du CAC 40.

Pour juger des effets de la mise en œuvre d’un plafond de richesse (évalué en termes relatifs) certains rappelèrent qu’au cours de la période dite des « Trente Glorieuses », de nombreux pays avaient déjà pris des mesures de ce type. L’exemple le plus cité était celui du pays qui apparaissait dans les années 2000 comme le plus inégalitaire des grands pays riches, les États-Unis. Mais bien d’autres pays avaient suivi au cours de la même période, y compris la France. En 1942, Franklin Delano Roosevelt déclarait : « Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25 000 dollars par an ». C’était l’équivalent d’environ 400 000 dollars de 2011. Roosevelt avait en réalité mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-1945. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels avait été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusqu’en 1981 [6].

Quel fut l’impact de cette politique « utopique » devenue effective aux États-Unis ? Même si d’autres facteurs jouèrent, elle contribua fortement à ce que ce pays connaisse trois décennies d’inégalités réduites, ce qu’illustre le graphique suivant, qui représente la part du revenu total des ménages revenant aux 10 % les plus riches entre 1917 et 2006.

Quand les écarts de revenus furent enfin plafonnés,  par Jean Gadrey
Source [7]

Ce rappel historique suggère que l’idée d’un revenu maximum pouvait apparaître non seulement comme une exigence morale, mais aussi comme l’une des voies de sortie des crises graves, lorsque l’excès d’inégalités était clairement identifié comme un facteur majeur de ces crises. Or, à partir de 2008, l’économie européenne se trouvait précisément dans cette situation de crise majeure.
À quoi devait ressembler une société où les revenus seraient plafonnés ?

Le débat fit rage, tandis que les inégalités s’accroissaient et minaient la cohésion sociale. Cinq points structuraient la réflexion des partisans d’un plafonnement des écarts de revenus :

1. Qui était légitime pour définir des écarts acceptables et comment y parvenir ? Trouver des réponses semblait impossible, en régime non-autoritaire, sans un large consentement et donc sans le secours d’une démocratie autrement plus ouverte que celles qui prévalaient alors. « Allons chercher la justice avec les gens », par le biais d’assises citoyennes dotées de pouvoirs nouveaux : tel était le mot d’ordre de ceux qui prônaient une véritable démocratisation des institutions. Les conclusions de ces assises citoyennes devaient rapidement paraître infiniment plus égalitaires que tous les débats de Parlements dont la composition de classe et la faible capacité de résistance aux groupes d’intérêt des plus riches défendant leurs niches étaient connues de tous.

2. Les inégalités de revenus ne constituaient que l’un des déterminants des inégalités de conditions. Le plafonnement des premières aurait eu un faible impact si elle s’était accompagnée d’un effritement toujours plus prononcé de la protection sociale ou d’une dégradation des services publics. Selon l’Insee, ces derniers contribuaient deux fois plus à la réduction des inégalités que les prestations sociales. Une société plafonnant les écarts de revenus devait donc préserver d’autres déterminants de l’égalité des droits.

3. Fallait-il d’abord plafonner les salaires ou les revenus du capital et du patrimoine (revenus fonciers, intérêts des placements, dividendes, plus-values, etc.) ? Ces derniers étaient devenus la composante la plus importante des très hauts revenus : environ les deux tiers des revenus pour les 0,1 % les plus riches et les trois-quarts pour les 0,01 %. Mais, en réalité, une bonne partie des très hauts salaires avait également été tirée vers le haut par les gros revenus financiers : il ne s’agissait pas de « vrais salaires » au sens de la juste rétribution de compétences, de talents ou d’efforts, mais de « salaires de marchés financiarisés ». C’est donc l’ensemble des revenus dont l’échelle devait être raccourcie, par le haut et par le bas.

4. Pouvait-on faire reposer un plafonnement des écarts de revenus sur la seule fiscalité ? Non – pour de multiples raisons. D’abord, si la fiscalité était assez efficace pour limiter les excès par le haut, elle n’était d’aucun secours pour le relèvement des minima sociaux (sauf par le biais de crédits d’impôt qui avaient des limites) ou du SMIC, ou pour en finir avec le temps partiel subi, l’une des causes de la pauvreté salariale qui régnait alors. Ensuite, à trop compter sur la fiscalité pour réduire les écarts de « revenus primaires » (revenus avant impôts du travail et du capital), on se serait exposé à laisser filer ces derniers : la fiscalité aurait été perpétuellement à la traîne derrière des inégalités démesurées. Il fallait donc aussi peser, par la loi et dans les entreprises, sur les écarts de salaires et sur des plafonds de rémunération du capital [8].

5. Quels devaient être les bénéfices individuels et collectifs d’un plafonnement « efficace » des écarts de revenu ? Ils se révélèrent considérables sur tous les plans dans les années 2020 et 2030, et même dès 2013, année de puissants mouvements sociaux. C’est cette perspective que voulait masquer, au début des années 2010, le fatalisme selon lequel « des riches et des pauvres, il y en a toujours eu et il y en aura toujours ». Une hypothèse fut alors avancée : un minimum de 1 000 euros mensuels pour une personne seule [9] et un maximum de 10 000 euros. Ces chiffres, qui semblaient parfaitement utopiques, étaient pourtant très réalistes au regard des enquêtes de perception des niveaux des minima et maxima jugés souhaitables par les Français. Environ neuf millions de personnes pouvaient alors voir leur sort s’améliorer, sensiblement pour les uns, très fortement pour la majorité (souvenons-nous que le RSA de base était à 467 euros en 2011).

Tous les constats statistiques internationaux convergeaient pour soutenir ces propositions : les indicateurs de bien-être ou de développement humain et social (santé, éducation, insécurité et violences, égalité entre les femmes et les hommes, etc.) étaient nettement et positivement corrélés au degré d’égalité des revenus. Des ouvrages avaient été consacrés à ces thèmes [10]. Et, pourtant, les résistances étaient nombreuses. Celui que des sociologues de l’époque appelaient « le président des riches » (l’histoire a oublié son nom, contrairement à celui de Roosevelt) en raison de ses liens privilégiés avec la ploutocratie et les milieux d’affaires, tenta même, en octobre 2011, d’utiliser un rapport qu’il avait commandé à des proches pour faire croire que, pendant son quinquennat, la pauvreté avait nettement diminué, alors que tout indiquait une forte progression. La ficelle était tellement grosse que cette manœuvre se retourna contre lui, tous les statisticiens sérieux et toutes les associations dénonçant alors le truquage statistique [11]. Il fut même critiqué par Eurostat, l’équivalent européen de l’Insee, qui rappela que si l’Europe s’était officiellement dotée, dès 2001, d’une définition statistique officielle de la pauvreté des revenus, c’était justement pour éviter que chaque chef d’État n’en fasse qu’à sa tête.
Une voie vers la sortie de crise

Quelle incidence devait avoir un plafonnement des écarts de revenus sur la résolution de la crise écologique qui prenait alors un tour inquiétant ? Son impact aurait été nul s’il s’était traduit seulement par le fait que les uns consomment plus et les autres moins d’une production matérielle identique en quantité et en qualité. Mais Hervé Kempf, auteur de plusieurs livres sur le sujet au tournant des années 2010, empruntait un raisonnement sociologique plus subtil : « Que se passe-t-il dans une société très inégalitaire ? Elle génère un gaspillage énorme, parce que la dilapidation matérielle de l’oligarchie – elle-même en proie à la compétition ostentatoire – sert d’exemple à toute la société. Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. Médias, publicité, films, feuilletons, magazines “people”, sont les outils de diffusion du modèle culturel dominant. […] On voit ici que la question de l’inégalité est cruciale » [12].

Le capitalisme actionnarial et ses alliés politiques et médiatiques étaient parvenus, jusqu’à la « deuxième grande crise », à ce que des mesures que l’immense majorité des citoyens trouvait justes et raisonnables soient présentées comme totalement utopiques ou nocives [13], au point de disparaître de l’agenda politique d’une partie de la gauche. Mais la crise multiforme des années 2008-2015, qui était encore loin d’être finie en 2012, réveilla le sens de la justice. Elle déboucha notamment sur des mesures qui allaient considérablement favoriser les mouvements pour la justice : la « socialisation » et la « reprise en main » d’une sphère financière privatisée devenue un danger planétaire et le facteur majeur de creusement des inégalités. On peut être stupéfait, en ce début de XXIIe siècle, que la période des « Trente Calamiteuses », de 1980 à 2010, ait vu les gouvernants confier à de grands actionnaires et grands spéculateurs, baptisés alors pudiquement « marchés financiers », le soin de gérer la création monétaire, le crédit, les monnaies (nous avons depuis 2030 une monnaie mondiale et d’innombrables monnaies locales ou régionales « solidaires »), autant de domaines relevant aujourd’hui, et depuis longtemps, des biens communs gérés démocratiquement par toutes les parties prenantes. Mais les historiens ont bien montré que les gouvernants de cette période de démocratie affaiblie étaient très souvent les fondés de pouvoir et les « avocats d’affaires » des grands intérêts privés.

Parce que les partisans d’un plafonnement des écarts de revenus surent se saisir des opportunités de contestation et de reconstruction qu’elle offrait, la crise contribua ainsi à transformer en projet réaliste ce qui restait encore de l’ordre du rêve pour les hommes et les femmes des années 2000.

Jean Gadrey

1 Voir « L’éventail acceptable des revenus : Platon, Georges Marchais, etc. »
2 Selon l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, « les indicateurs de pauvreté monétaire déterminent les personnes dont le niveau de vie est inférieur à un montant donné dit seuil de pauvreté. »
3 Jean Gadrey, « Si on prenait un peu aux riches, ça ferait combien pour les pauvres ? »
4 Voir les sites wikipedia et salairemaximum.net
5 Écoutez Patrick Viveret sur le RMA (Revenu Maximal Acceptable)
6 Voir sur mon blog : « Les États-Unis instaurent un revenu maximum pour sortir de la crise ! »
7 Source du graphique : données d’Emmanuel Saez
8 Voir le SLAM proposé par Frédéric Lordon
9 Ordre de grandeur fourni par les sondages Ipsos (pour le Secours Populaire) des années 2010.
10 Voir ce compte rendu du livre de l’épidémiologiste britannique Richard Wilkinson, « l’égalité, c’est la santé »
11 Voir mon blog
12 À lire, par Hervé Kempf
13 Voir, en réponse à l’objection « la mondialisation interdit tout plafonnement des inégalités », l’article « Ciel ! Nos riches et nos entreprises vont partir ! »

Tags : gadrey
Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Dimanche 30 Octobre 2011 à 10:44 | Commentaires (0)

Analyse

Voici une des propositions présentes dans le livre "Le bonheur est-il dans la décroissance" de Christophe Caresche, Géraud Guibert et Diane Szynkier


La mise en place d’un revenu maximal autorisé
L’arrêt, depuis vingt ans, du mouvement séculaire de réduction des inégalités est d’autant plus choquant que l’accroissement des écarts de revenus ne correspond pas toujours, loin s’en faut, à une prise de risque ou un talent particulier, mais est souvent le résultat de phénomènes de rentes, d’héritages ou de pratiques abusives sur les marchés financiers.

Cette situation pose un triple problème social, écologique et républicain : elle génère un fort sentiment d’injustice dans la population ; elle entretient une élite financière hyperconsommatrice autorisée à gaspiller de manière outrancière les ressources de la planète ; elle met gravement en cause le modèle républicain, dont l’une des composantes fondatrices est la recherche de l’égalité.

Pour les classes moyennes, elle représente une véritable double peine, la menace de déclassement s’accompagnant de l’existence d’une surconsommation manifeste qui mine la légitimité d’un discours écologique de modération. Pour les catégories populaires, elle accentue ce sentiment de ne pas appartenir au même pays ou au même monde, facteur majeur de la crise démocratique.

Pour corriger cette situation, plusieurs propositions sont indispensables, mais insuffisantes, car défensives (comme la suppression du boucler fiscal), de portée relativement limitée (comme la création d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu) ou concernant les seuls salaires (comme l’encadrement des écarts de rémunération dans une entreprise). C’est pourquoi nous proposons d’aller vers la création d’une forme de revenu maximal admissible permettant de mieux encourager les projets utiles et durables.

Ce dispositif concernerait l’ensemble des revenus et non les seuls salaires. Il rendrait obligatoire, au-delà d’un seuil relativement élevé de revenus, l’utilisation du surplus pour des actions conformes à la logique du développement durable.

A défaut, ce surplus serait taxé à un taux élevé. De telles règles permettraient de mieux concilier l’enjeu social (réduction des inégalités), écologique (limitation des consommations ostentatoires des très riches) et économique (financer des activités cohérentes avec l’état de la planète).

La totalité de cet essai est téléchargeable sur le site de la Fondation Jean-Jaurès

Tags : rma
Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Dimanche 2 Octobre 2011 à 17:18 | Commentaires (0)

Livre

C'est un des résultats d'un sondage CSA-L'Expansion


71% des Français favorables au salaire maximum dans les entreprises publiques
La totalité du sondage est visible ici

Tags : sondage
Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Dimanche 2 Octobre 2011 à 17:12 | Commentaires (1)

Info et débat

Dans son livre programme pour l'élection présidentielle de 1981, le candidat communiste propose un écart des salaires de 1 à 4.


Marchais : "L'austérité pour les riches"
"Ce combat contre l’inégalité pose le problème de la hiérarchie. D’abord, pour une raison morale : si une hiérarchie est nécessaire, elle ne saurait aboutir aux écarts gigantesques qui déshonorent aujourd’hui la France. Et aussi pour une raison de sérieux économique : comme on ne peut tout promettre à tous, il faut annoncer la couleur en disant par avance à qui on veut donner et à qui on prendra.

Je propose donc, en premier lieu, qu’on s’attaque vigoureusement à la hiérarchie des revenus. C’est une plaie ouverte au flanc de la France. Il faut guérir en frappant les fortunes, en frappant les superprofits, en frappant les faux salaires des P.-D.G. et d’une série de parasites, en frappant la spéculation et l’évasion des ressources à l’étranger, en agissant durement contre les « paradis fiscaux », en créant un véritable impôt sur le capital.

De l’austérité, il en faut : mais pour les profiteurs, pas pour les travailleurs.

En second lieu, je propose de réduire la hiérarchie des salaires. Les écarts de salaires ne doivent traduire, selon moi, que les différences réelles, bien établies, de qualification et de responsabilité, de risque et de pénibilité. Ils devraient, je pense, aller de 1 à 4.

Pour réduire l’éventail des salaires, il faut augmenter plus vite les salaires les plus bas en bloquant les plus élevés à partir d’un certain niveau. On pourrait ainsi, en quelques années, passer de l’éventail actuel à un éventail où les plus hauts salaires seraient en moyenne quatre fois supérieurs au nouveau SMIC."

Georges Marchais, L’Espoir au présent, Paris, Éditions sociales, 1980, pp. 65-66

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Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Dimanche 25 Septembre 2011 à 11:45 | Commentaires (0)

Histoire

En novembre 1980, le candidat du Parti Communiste Français à l'élection présidentielle de 1981 présente un "plan de lutte" qui prévoit le salaire maximum


Programme de Georges Marchais en 1981
• Porter tout de suite le SMIC à 3 300 F par mois et atteindre 4 000 F (en francs constants) avant la fin du septennat. Ramener progressivement la hiérarchie des salaires à l’éventail de un à quatre.

• Augmenter fortement l’impôt sur le revenu pour les hauts revenus : porter le taux marginal à 100% (« c’est-à-dire tout prendre ») pour les tranches de revenus supérieurs à 40 000 F par mois. Supprimer toutes les déductions accordées aux actions et obligations. Taxer les plus-values à caractère spéculatif jusqu’à 100%. Créer un impôt sur la fortune, progressif, allant du taux de 1,5% jusqu’à des taux dissuasifs de 15 à 20% (abattement à la base de 2 millions de francs par famille, déclaration annuelle de fortune).

Source : Le Monde, 21 novembre 1980, p. 42.

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Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Mardi 20 Septembre 2011 à 23:04 | Commentaires (0)

Histoire

Voici le commentaire d'un journaliste du Monde après la conférence de presse de novembre 1980 où Georges Marchais proposait de porter le taux marginal à 100% pour les tranches de revenus supérieurs à 40 000 F par mois.


Marchais : Un moraliste, pas un économiste
Que les propositions de M. Georges Marchais, candidat du P.C. aux élections présidentielles, soient adaptées à la situation, réalistes, applicables, on peut très sérieusement en douter. Mais que beaucoup de ces propositions, à défaut de susciter l’adhésion de l’esprit, entrainent celle du cœur, cela est certain.

Quand M. Marchais propose de porter le SMIC à 3 300 francs tout de suite et à 4 000 francs avant la fin du futur septennat, qui pourrait sur le strict plan de la justice, de l’équité ou tout simplement de l’humanité, trouver à y redire ? Les bas salaires sont beaucoup trop bas en France : cela est une tare de notre société qu’on ne retrouve pas beaucoup ou beaucoup moins dans d’autres pays industrialisés, notamment aux États-Unis et en RFA.

Parmi les questions qui furent posées à M. Marchais à la fin de sa conférence de presse, l’une portait sur une proposition intitulée – l’austérité pour les profiteurs – et rédigée de la façon suivante : porter l’impôt à 100% – c’est-à-dire tout prendre » – pour les tranches de revenu supérieures à 40 000 francs par mois. Cette proposition, par son « intention absolue » et probablement aussi par une certaine naïveté de la rédaction (le fait d’insister sur la volonté de tout prendre pourtant clairement exprimée par le taux à 100%) avait suscité quelques rires et une question d’un journaliste qui fit mine de s’en étonner et d’en demander confirmation. « Je vous l’avais bien dit, répliqua M. Marchais, rira bien qui rira le dernier. » Et le premier secrétaire retrouva soudain le visage grave, le ton indigné, un peu véhément, moralisateur qu’il adopte souvent. Ce fut le seul moment de sa conférence où il prêcha comme seul il sait le faire. M. Marchais est un moralisateur, pas un économiste. Peut-être a-t-il raison d’être ceci et pas cela. A chacun son rôle.

Ce qui est certain, c’est que nombre des propositions avancées par le secrétaire général du P.C. forcent le trait. Pourquoi, par exemple, porter à 100% l’impôt sur le revenu pour les tranches de revenus supérieures à 40 000 F par mois ? A l’évidence, une telle mesure inciterait – tous les exemples étrangers pourtant moins extrêmes l’ont montré – les beaux cerveaux bénéficiant de très hauts revenus soit à aller travailler ailleurs, soit à dissimuler leurs émoluments. Personne n’accepterait de travailler « marginalement » – c’est-à-dire au-delà d’une certaine limite – pour gagner des revenus supplémentaires qui seraient intégralement confisqués par l’Etat. La même remarque vaut pour la taxation des plus-values à caractère spéculatif « jusqu’à 100% ».

Mais M. Marchais n’en a cure. Sachant qu’il n’a aucune chance d’être élu président de la République, son but est de se poser clairement en défenseur du faible et de l’opprimé, ce qui l’entraine d’ailleurs tout naturellement à voir beaucoup plus de pauvres qu’il n’en existe – matériellement parlant – en France. Mais là il est dans son rôle. Aux autres candidats d’accepter les compromis historiques entre le possible et le souhaitable.

Lors des dernières élections législatives, M. Michel Rocard avait eu le courage de signaler qu’une augmentation trop forte du SMIC provoquerait la fermeture de nombreuses entreprises. Le constater n’était pas approuver le très bas niveau du salaire minimum. Mais le réalisme voulait que cela soit dit. Par des telles réflexions, Michel Rocard est devenu pour une partie de la gauche bien-pensante un homme de droite. Assurément, M. Marchais ne court pas ce risque.

ALAIN VERNHOLES.
Le Monde, 22 novembre 1980, p. 10.

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Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Mardi 20 Septembre 2011 à 23:00 | Commentaires (0)

Histoire

Un article de Gaël Raimbault publié sur le site "L'Assaut"


Le revenu maximum, tout de suite !
L’Assaut a déjà proposé de retourner la logique du « bouclier fiscal » : utiliser l’impôt pour plafonner les revenus. Aujourd’hui, la mise en place d’un « revenu maximal » devrait être une des priorités de la gauche pour l’après 2012, afin de permettre à nos sociétés de sortir d’un imaginaire colonisé par l’enrichissement et de construire un avenir collectif.

La crise économique amorcée en 2007 a rendu l’opinion très sensible au thème de l’argent fou. Fou, et même plus : coupable. Car c’est bien l’appât du lucre, de la richesse sans limite, qui a conduit à la catastrophe. Après la crise, comment croire à l’antienne du capitalisme libéral : la rémunération reflète, sinon la valeur des individus, au moins leur contribution au bien-être de la société, alors même que la rémunération semble plutôt avoir été liée aux responsabilités dans la crise ? Les citoyens sont très sensibles à la question, et la politique institutionnelle suit, de loin et avec retard comme toujours en cette époque d’autisme politique. Le Parti socialiste a déposé une proposition de loi visant non pas à plafonner les revenus, mais à accroître la transparence des rémunérations[1]. Nous disons, nous, qu’il faut aller beaucoup plus loin, et qu’on peut y aller très vite. Il faut, dès 2012, plafonner les revenus. Ce serait une solution simple, élégante, et à ce titre révolutionnaire.

L’instrument de ce plafonnement serait évidemment la fiscalité, avec l’établissement d’un taux de 100% d’imposition des revenus au-delà du plafond fixé[2]. Il est très probable que, très rapidement, cela rétroagirait sur le niveau des salaires.

On peut ratiociner longtemps sur le « bon niveau » de ce plafonnement, il est évident qu’il ne peut être défini que par une discussion démocratique. A titre de mise de départ, l’Assaut met sur la table une solution radicale : plafonner les revenus à 4 fois le SMIC plein temps, soit environ 4000 € nets/mois. Pourquoi 4000 € ? D’abord parce qu’il semblerait qu’un écart de rémunération de 1 à 4 corresponde à une intuition couramment répandue chez l’homme contemporain[3]. Ensuite, parce que 80 à 90% des résidents en France vivent aujourd’hui avec de tels revenus et qu’une telle réforme ferait donc très peu de perdants. Enfin parce qu’il est difficile d’expliquer, en analysant les dépenses des ménages, en quoi il peut être utile ou nécessaire de permettre à quelqu’un de gagner plus. Au-delà de tels revenus, l’enjeu devient l’accumulation d’un patrimoine. Or, précisément, dans une société démocratique à vocation égalitaire, où les accidents de l’existence ont vocation à être pris en charge par des services publics, à quoi sert un patrimoine, à part à satisfaire une compulsion morbide pour l’accumulation de ce matériau inerte et fondamentalement inutile qu’est l’argent ?

1. Unifier la société


Le premier motif pour proposer un plafonnement drastique des revenus est qu’il permettrait de réunifier la société autour d’aspirations communes. Aujourd’hui, l’ouverture de l’éventail des revenus a un effet profondément délétère. Les très riches vivent ailleurs, dans un autre pays, dans un monde où il est normal de pouvoir acheter cash un appartement à plusieurs millions d’euros. Les un peu moins riches observent cela, fascinés, et ce modèle de consommation tend à se diffuser de proche en proche, finissant par orienter les efforts de l’intégralité de la pyramide sociale. Politiquement, ce mécanisme est très pervers car s’il n’y a pas d’égalisation des revenus, il n’offre aucun échappatoire : il y aura toujours des gens qui gagneront toujours plus, toujours des gagnants, toujours des perdants et toujours des jaloux. Et jamais de projet collectif.

Si l’on applique ce constat général au contexte actuel, quelles aspirations collectives peut élaborer et mettre en œuvre une société dans laquelle les 10% qui tiennent le pouvoir politique, économique et médiatique ont profondément intérêt à affaiblir la redistribution, à faire reculer les services publics, pour pouvoir poursuivre dans leur politique d’accumulation de revenus ? Et même, peut-on arguer que la séparation de la société entre des couches de revenus trop différents tend en réalité à créer plusieurs sociétés. Ainsi, le marché immobilier est-il aujourd’hui en réalité coupé en plusieurs segments, et il est presque inenvisageable de passer de l’un à l’autre au cours d’une vie professionnelle. Ces mécanismes tendent à s’auto-entretenir : les riches, pour rester logés parmi les riches, doivent être de plus en plus riches pour se loger dans des appartements de plus en plus chers, possédés par eux ou leurs semblables.

Cet argument devrait rencontrer un écho profond chez les vrais libéraux, ceux pour lesquels la théorie économique « classique » n’est pas un simple prétexte servant à justifier la prédation par les puissants, mais bien la condition d’un monde plus efficace et même plus moral. Car fondamentalement, le libéralisme est une idéologie d’égaux. C’est la démocratie et une relative égalité des capacités des participants qui permet le marché, et pas le contraire. On pourrait même dire qu’un marché comme le marché du travail aujourd’hui, où les écarts de prix sont énormes pour des biens relativement comparables (comparez la rémunération, et l’utilité sociale, d’un trader, d’un consultant en organisation et d’une aide-soignante à domicile), est un marché vicié et oligopolistique, que quelques acteurs ont réussi à organiser à leur profit unique de manière à y capter toute la rente.

Ainsi, une des conditions d’existence d’une société capable de prendre collectivement des décisions engageant l’intégralité de ses membres paraît être une certaine communauté de destins, par beau temps comme par tempête.

C’est déjà vrai aujourd’hui, où la démolition à petit feu de la retraite par répartition[4], de l’assurance-maladie obligatoire ou des universités vise à accroître la rente de quelques-uns. Cela risque de devenir d’autant plus vrai si l’enjeu écologique nous conduit à devoir à terme diminuer nos niveaux de consommation collective. Comment accepter une baisse du PIB par tête si certains parviennent à s’en protéger ou à faire porter l’effort sur ceux qui sont déjà les perdants du système ? Or il est relativement facile de démontrer que, sauf à renoncer à des objectifs de diminution de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, ou à compter sur des technologies permettant de diminuer radicalement la production de CO2, qui relèvent à ce stade de l’imagination, la question du ralentissement de la croissance se posera très prochainement. Dès lors, comment partager ? En instaurant une « fiscalité écologique » qui nuira aux (relativement) pauvres logés loin des aires d’emploi ? Ou en limitant les déplacements en avion, nettement plus polluants et dont bénéficient bien entendu en priorité les plus riches[5] ? Inévitablement, ce genre de questions devra être abordé, et il ne sera résolu que dans la violence et l’affrontement, et sans doute de manière très injuste, si les modes de vie sont trop divergents.

2. « Décoloniser l’imaginaire »

Le deuxième motif, fondamental, pour plafonner le revenu est que cela constituerait une clé très importante pour « décoloniser l’imaginaire », selon la très frappante expression de Serge Latouche. L’imaginaire contemporain est en effet très marqué par l’idéologie qui est au fondement du capitalisme : l’exigence d’accumulation illimitée du capital par des moyens formellement pacifiques, selon la définition minimale et très précise de Luc Boltanski et d’Eve Chiapello[6]. Cette définition est frappante et immensément polémique si on en tire toutes les conclusions qui s’imposent : car le capitalisme, ce n’est pas l’accumulation pour la jouissance, c’est l’accumulation pour elle-même. Passion profondément morbide, et considérée comme telle très longtemps par l’idéologie féodale et chrétienne de l’occident. Freud voyait encore dans l’amour de l’argent l’expression d’un sentiment régressif, puisant ses racines dans la phase anale du développement, et faisait de l’argent le signifiant d’un signifié qui n’était autre que la matière fécale.

Ceci trouve une traduction très concrète dans les préoccupations de nos sociétés : la focalisation sur la possession du logement, l’épargne, la transmission du patrimoine à ses enfants, marquent notre imaginaire politique. Or la sécurité peut être apportée par d’autres systèmes que l’accumulation individuelle d’un patrimoine qui est en réalité un but en elle-même. Par exemple, par des services publics efficaces. La droite réussit régulièrement à kidnapper le pouvoir, contre les intérêts de ses mandants, en jouant sur cette passion de l’accumulation du capital et en faisant croire qu’elle est accessible à tous. Il semblerait que la passion soit d’autant mieux partagée que le capital l’est peu…

Il est clair que 4000 € par mois ne permettent pas d’envisager une épargne massive. Cela impliquera de se focaliser sur d’autres intérêts privés et publics. Paradoxalement, alors que le libéralisme a fait de la liberté d’accumuler à l’infini des revenus et du patrimoine une des libertés les plus essentielles, nous disons nous que cet enjeu asservit l’homme, écrase toutes les passions sous une seule : l’argent, qui informe tout et structure nos sociétés très en profondeur. Une fois que l’homme passionné d’argent aurait atteint des revenus de 4000 € par mois, il serait forcé de s’intéresser à autre chose, et personne ne pourrait conserver comme objectif de son existence l’accumulation d’argent. La société en serait profondément transformée, difficile d’en douter.

Au-delà, cela permettrait d’envisager une société enfin consciente d’une de ses vérités les plus fondamentales : nous sommes libérés du besoin économique. Keynes, il y a plus de 80 ans, envisageait qu’à notre époque et à nos niveaux de production économique, il serait possible de « travailler » au sens où nous l’entendons 3 ou 4 heures par jour seulement, et de consacrer le reste du temps à construire un monde plus beau et habitable. Sans la prédation et la rente, cela serait sans doute possible, à condition d’arrêter de croire collectivement que le revenu monétaire est l’horizon de nos sociétés et des individus qui les composent. Le plafonnement des revenus à des niveaux qui apparaîtraient très bas au regard des débats fiscaux, constituerait un outil essentiel de cette libération.

Gaël Raimbault
Jeudi 31 Mars 2011

[1] http://www.salairemaximum.net/Salaire-maximum-proposition-de-loi-socialiste_a106.html et http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/transparence_remunerations.asp

[2] Cela peut paraître fou, à une époque où un candidat putatif du PS aux élections présidentielles parle de plafonner le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu à 40%, comme l’UMP d’ailleurs. Il y a cependant des précédents historiques : aux Etats-Unis, en 1944 et 1945, ce même taux était de 94%.

[3] Cf. une étude de Thomas Piketty (http://piketty.pse.ens.fr/fichiers/public/Piketty2003c.pdf) citée dans le dernier numéro de la revue Mouvements (http://www.mouvements.info/Pour-en-finir-avec-les-riches-et.html), p. 115.

[4] Frédéric Lordon démontre avec talent le lien entre volonté d’enrichissement des rentiers et « réformes » des retraites telles qu’elles sont conduites depuis 15 ans : http://blog.mondediplo.net/2010-10-23-Le-point-de-fusion-des-retraites

[5] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/La_mobilite_des_Francais_ENTD_2008_revue_cle7b7471.pdf, p. 151 et 165.

[6] Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, coll. NRF essais, p. 37.

Rédigé par Jean-Philippe Huelin le Lundi 19 Septembre 2011 à 18:20 | Commentaires (0)

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